Parcours d’une benjamine : du Quai d’Orsay au Parlement Européen.
Chers lecteurs,
La 200ème élucubration de votre serviteur voit le jour à travers ce nouveau portrait que je me propose de partager avec vous. Quoi de plus beau, comme heureux hasard, à ce que soit une femme qui viennent illustrer et fêter la publication de cette nouvelle note sur mon blogue. La série de portrait peut ainsi perdurer !
Très vite sa position de benjamine se fera remarquer dans la particularité de son parcours de vie. Titulaire du Baccalauréat à seize ans ; Diplômée de l’Institut de Sciences Politique à dix-neuf ans ; Admise au concours du ministère des Affaires étrangères à vingt et un ans. La continuité d’un parcours hors-norme la portera à l’âge de vingt-neuf ans au Cabinet du ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé.
Celle qui n’aime pas la notion de carrière a su frayer son chemin dans le monde de la diplomatie française avant de devenir ministre chargée des Affaires européennes et depuis juillet 2019, députée au Parlement européen. Permettez-moi de vous présenter le portrait d’une personnalité issue de la société civile (comme on dit) qui a su persévérer et mener sa vie professionnelle pour l’amener vers un nouveau parcours : celui de la politique.
Je vous laisse découvrir ce nouveau portrait avec la députée européen, présidente de la sous-commission sécurité et défense, Madame Nathalie Loiseau !
Compte-tenu des règles sanitaires que nous connaissons, la réalisation de ce portrait a été réalisé par courrier électronique avec Madame Nathalie Loiseau.
@romainbgb – 30/05/20
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Bio Express de Madame Nathalie Loiseau, née Ducoulombier :
*Officier de l’Ordre national du Mérite
*Chevalier de la Légion d’Honneur
*Commandeur de l’ordre de Dannebrog (Danemark).
*1964 : naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
*1980 : Obtention du Baccalauréat à l’âge de seize ans.
*1983 : diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Paris.
*1985 : diplômée de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO).
*1986 : admise au concours du ministère des Affaires étrangères.
*1990-1992 : secrétaire d’ambassade en Indonésie.
*1993-1995 : conseillère au Cabinet du ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé.
*1995-1999 : secrétaire d’ambassade au Sénégal.
*1999-2002 : secrétaire d’ambassade au Maroc.
*août 2002-juillet 2007 : responsable du service presse ; Porte-Parole de l’ambassade de France à Washington (États-Unis).
*2009-2011 : directrice des ressources humaines au ministère des Affaires étrangères et européennes.
*nov.2011-août 2012 : directrice générale de l’administration du ministère des Affaires étrangères et européennes.
*oct.2012-juin 2017 : directrice de l’École nationale d’administration (ENA).
*2014 : publie « Choisissez tout » aux éditions JC Lattès.
*juin 2017 – mars 2019 : ministre en charge des affaires européennes.
*2017 : publie « La démocratie en BD » aux éditons Casterman.
*depuis Juillet 2019 : députée européenne, présidente de la sous-commission sécurité et défense.
*2019 : publie « Le monde actuel en BD – l’Europe en BD » aux éditions Casterman.
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A quoi rêvait la petite Nathalie lorsqu’elle était enfant ?
« Je rêvais de voyages à travers le monde. Alexandra David Néel était mon modèle. Je voulais découvrir d’autres civilisations et apprendre le plus de langues étrangères possibles. »
Vous êtes titulaire du Baccalauréat à seize ans. Une précocité dans les études ?
« Oui, sans mérite particulier. J’ai appris à lire à 4 ans, parce que je voulais tout faire comme mon frère aîné. Du coup, un an plus tard, j’entrais à 5 ans en 10ème, le CE1 d’aujourd’hui. Après, j’ai progressé au même rythme que les autres, je n’ai plus sauté de classe ! »
Vous êtes diplômée de l’Institut de Sciences Politique de Paris et de l’INALCO. Cette double alchimie pour vous emmener au concours d’admission au ministère des Affaires étrangères ?
« Il n’y avait aucune préméditation dans le choix de mes études. Bachelière à 16 ans, j’avais un peu de temps devant moi et beaucoup de lacunes en culture générale. On m’a conseillé de tenter Sciences Po, j’y suis allée pour voir et j’ai eu la surprise d’être admise et j’y ai beaucoup appris. Mon goût des langues étrangères m’a tout de même bien vite rattrapée, de même que l’envie de sortir d’un certain conformisme qui planait un peu rue Saint-Guillaume.
« J’ai eu le bonheur d’apprendre le chinois et l’indonésien à Langues’O. Partant de là, j’étais pressée de travailler et de gagner ma vie. Là encore, sur un conseil, j’ai tenté le concours du Quai d’Orsay, sans trop oser y croire. Je me suis retrouvée, à 21 ans, la benjamine de cette noble maison, qui est devenue ma famille pendant de nombreuses années. »
Comment se passe vos premières années d’exercice au ministère des Affaires étrangères ?
« Le Quai d’Orsay est une maison très attachante dès lors que l’on sait l’apprivoiser. De l’extérieur, on ne voit que le protocole et l’apparat. Tout paraît formaté, codé. Pourtant, les diplomates sont parmi les gens les plus fantaisistes et anticonformistes que je connaisse. Choisir de changer de pays, de changer de vie, tous les trois ou quatre ans, toute sa vie, de partir à l’autre bout du monde, pour défendre les intérêts de son pays, c’est un peu particulier, non ? »
Que retenez-vous de vos expériences en tant que secrétaire d’ambassade en Indonésie, au Sénégal et au Maroc ?
« Je pourrais écrire des livres sur ces expériences. J’en ai d’ailleurs écrit un, Choisissez Tout, sur les femmes que j’ai rencontrées à travers le monde.
« Je suis devenue féministe à leur contact, quad j’ai compris tout ce que j’avais en commun avec des Indonésiennes, des Sénégalaises ou des Marocaines. J’ai des sœurs dans le monde entier. C’est une chance formidable. J’ai aussi côtoyé de près la grande pauvreté, très souvent accompagnée de grande dignité.
« J’ajouterais que j’ai acquis la conviction que rien n’est jamais écrit d’avance : en Indonésie, j’ai vu une dictature vaciller avant de s’effondrer ;
« Au Sénégal, j’ai contribué à la médiation qui a ramené la paix en Casamance, après des années de conflit, et j’ai vu la première alternance démocratique en Afrique de l’Ouest.
« Au Maroc, j’ai vu un jeune roi monter timidement sur le trône et choisir de faire entrer son royaume dans un cycle de modernisation sans comparaison dans le monde arabe. Songez que Mohamed VI est arrivé au pouvoir en même temps que Bachar El-Assad en Syrie et qu’on les comparait volontiers. Vous voyez, rien n’est jamais écrit d’avance. »
Vous rencontrez, sauf erreur de ma part, votre époux lors de votre mission en Indonésie. Un soutien précieux dans la suite de votre carrière ?
« On me demande souvent comment je fais pour mener la vie qui est la mienne (je n’emploie jamais le terme de carrière, parce que j’ai fait des choses beaucoup trop disparates depuis trente ans pour que ce mot ait un sens et parce que je ne réfléchis pas du tout en ces termes) avec un mari et quatre enfants. Ma réponse est toujours la même et elle est sincère : ce sont eux qui sont formidables de me supporter, pas le contraire. J’ai l’immense chance d’avoir une famille en or. Mais je sais aussi ce qu’un reporter de guerre m’a dit un jour et qui m’a beaucoup marquée : « la chance, c’est une forme de talent ». Parce qu’il faut savoir la saisir et la garder. »
A vingt-neuf ans vous êtes nommée conseillère au Cabinet du ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé. Que retenez-vous de cette collaboration ?
« Une très grande admiration pour un très grand homme d’État. « Le meilleur d’entre nous », cette expression qu’avait employé Jacques Chirac à son endroit, n’était pas qu’une boutade. Je vais peut-être vous surprendre, mais travailler avec Alain Juppé est la chose la plus facile du monde : il sait ce qu’il veut, il sait le dire et il sait l’obtenir. Terriblement exigeant avec lui-même, il peut bien l’être avec les autres. Il est aussi extrêmement fidèle et…chaleureux, à sa manière, mais vraiment. »
Comment se passe votre vie professionnelle de votre départ du Cabinet d’Alain Juppé à votre arrivée à Washington en 2002 ?
« Deux pays, le Sénégal et le Maroc, que j’ai autant aimés l’un que l’autre, mais aussi trois enfants, très rapprochés, nés à Dakar, en attendant que le quatrième n’arrive un peu plus tard à Washington. »
Entre 2002 et 2007 vous êtes responsable du service presse et porte-parole de l’Ambassade de France à Washington. La guerre en Irak se déroule quelques mois après votre prise de poste. Quel souvenir en gardez-vous ?
« Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient vu l’orage arriver, dès l’été 2002. Ils ont donc nommé à Washington une équipe en qui ils avaient confiance : Jean-David Levitte, comme ambassadeur, le très regretté Denis Pietton comme ministre conseiller et moi comme porte-parole.
« C’était une équipe de combat et le combat a été rude. C’est terrible de voir un pays ami, allié, se préparer à commettre une erreur irréparable sans pouvoir l’arrêter. Terrible mais aussi terriblement motivant. Je me levais chaque matin en sachant très précisément pourquoi je faisais ce métier à cet endroit-là à ce moment-là. Quel privilège ! J’avais la partie la plus passionnante, celle qui consistait à connaître les médias américains de l’intérieur, à les comprendre, à les convaincre et à ce qu’ils m’expliquent ce qu’ils savaient sur le dessous des cartes, dans ce House of Cards grandeur nature. »
Quel souvenir gardez-vous de votre collaboration avec Jean-David Levitte ?
« Elle était facile et fluide. C’est un homme qui ne s’énerve jamais et un éternel optimiste. »
Quel souvenir gardez-vous de votre collaboration avec Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères de l’époque ?
« Je le connaissais depuis longtemps. Évidemment le discours aux Nations Unies de février 2003, « Et c’est vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie … », ce discours qu’il ne voulait pas prononcer, ce voyage qu’il ne voulait pas faire, à quoi bon, on ne convaincrait plus les Américains d’éviter la guerre, ce texte qu’il a corrigé jusque dans la voiture qui l’amenait à l’ONU et finalement le tonnerre d’applaudissements au Conseil de Sécurité, ce qui n’arrive jamais et le désarroi dans le regard du ministre américain, Colin Powell, qui savait bien que nous avions raison mais qui servait son président comme un loyal soldat… »
Le président Jacques Chirac nous a quitté en septembre dernier. Auriez-vous un souvenir avec lui à nous partager ?
« Je connais le Chirac des voyages officiels à l’étranger, qui vous disait toujours « C’est beau chez vous, c’est beau mais c’est loin ! » en se caricaturant lui-même.
« Un souvenir tout de même qui m’a énormément marquée : très peu de temps après son élection en 1995, il a voulu effectuer une visite officielle au Sénégal, pour montrer l’importance de l’Afrique pour la France. Contre toute attente, il a émis une demande tout à fait hors protocole : il voulait rencontrer des jeunes des banlieues de Dakar et les entendre sur la vie de leurs quartiers, leurs attentes, leurs colères. Il avait l’intuition que nos banlieues glissaient sur une mauvaise pente et voulait avec une immense humilité entendre ce qu’on pensait, ce qu’on faisait ailleurs. A l’époque, les banlieues de Dakar étaient des fiefs de l’opposition à Abdou Diouf, le président sénégalais. S’y rendre n’allait pas de soi. Il y est parti en bus, en jean et chemisette, s’est livré à un bain de foule dont il avait le secret puis s’est assis, par une chaleur écrasante, dans la cour d’une maison de quartier, pour discuter avec de jeunes animateurs pendant un temps considérable. C’était tout à fait bluffant. »
De 2009 à 2011 vous êtes directrice des ressources humaines au ministère des Affaires étrangères et européennes. Que retenez-vous de ce poste ?
« Les hommes et les femmes qui font le ministère des affaires étrangères sont toute sa richesse. Piloter 15000 personnes dans 180 pays différents (et donc avec autant de droits du travail pour les employés locaux) est un joli casse-tête.
« J’ai eu la chance de pouvoir pousser beaucoup de chantiers qui me tenaient à cœur : la formation des diplomates, avec la création de l’institut diplomatique et consulaire, la mise au point d’un guide de déontologie, le premier pour ces métiers si particuliers et si exposés, la lutte contre le harcèlement et la gestion des situations de crise, le combat pour la féminisation des postes de responsabilité…
« J’ai acquis la conviction qu’il n’y avait pas « les bons et les mauvais employés » mais ceux qui étaient à leur place et ceux qui ne l’étaient pas. J’ai aussi vu les ravages des économies budgétaires et des baisses d’effectifs lorsqu’il était sans cesse demandé de faire « mieux avec moins. »
De novembre 2011 à août 2012 vous êtes directrice générale de l’administration du ministère des Affaires étrangères et européennes. Un sacré défi ?
« Une très belle expérience, d’abord celle du pilotage d’une équipe de très grande qualité, y compris par gros temps : j’ai dû assurer la fermeture de notre ambassade à Tripoli, puis à Damas, pour des raisons de sécurité évidente. J’aime la gestion de crise et j’ai apprécié le climat de confiance dans lequel j’ai été amenée à travailler. Lorsque Laurent Fabius est arrivé à la tête du ministère, cette confiance a été rompue et je suis partie. »
Vous devenez en 2012 directrice de l’École normale d’administration. Que retenez-vous de cette expérience et de votre bilan à la sortie de mandat ?
« Dans ma vie très peu linéaire, j’ai une constante : être là où on ne m’attend pas et bénéficier de la confiance de quelqu’un. Pour l’ENA, ce fut le cas plus encore qu’auparavant.
« François Hollande m’a nommée sans me connaître, alors que je n’étais pas issue de l’école pour laquelle il avait gardé une très grande affection. 2ème femme seulement à diriger l’école en 70 ans, pas énarque, diplomate, c’est un peu comme si une saltimbanque arrivait au Vatican. En même temps les vieilles maisons ne me faisaient pas peur, j’avais connu le Quai d’Orsay…
« J’ai donc eu à cœur d’aérer l’ENA, de la dépoussiérer, d’en ouvrir les portes, les fenêtres mais aussi les esprits. J’ai développé une classe prépa égalité des chances pour permettre à des jeunes de milieux modestes de préparer le concours d’entrée dans de bonnes conditions, réformé les concours d’entrée en y imposant une épreuve collective pour jauger de la capacité des futurs cadres de l’État à travailler avec les autres, refondu la scolarité pour y inclure des enseignements communs avec des écoles aussi éloignées que l’école 42 ou l’ENSCI, pour croiser les cultures et ouvrir les esprits, rendu obligatoire que chaque élève poursuive un engagement associatif au bénéfice de personnes vulnérables tout au long de sa scolarité… Cela a-t-il suffi à réformer l’école ? Non, car le classement de sortie et surtout ses conséquences rendent très difficile d’offrir des enseignements diversifiés. Et parce que la diversité sociale se perd bien avant le passage du concours d’entrée, compte tenu de notre système éducatif.
« J’espère sincèrement qu’Emmanuel Macron ira assez loin pour permettre une réforme véritablement ambitieuse. Non pas pour sauver cette école mais pour permettre un recrutement et une formation encore améliorés des cadres supérieurs de l’État. Jamais il n’a été aussi compliqué de conduire l’action publique. Jamais on n’a autant eu besoin d’une fonction publique de qualité. »
Comment avez-vous rencontré Emmanuel Macron ?
« Quand Alain Juppé a perdu la primaire de la droite, à l’issue d’une campagne où ses adversaires n’ont pas hésité à le calomnier et à répandre sur lui des rumeurs sur les réseaux sociaux (souvenez-vous Ali Juppé…), je ne me reconnaissais plus dans ce qui devenait une dérive droitière très loin de mes valeurs. Je ne voulais pas pour autant baisser les bras, car je redoutais une victoire de Marine Le Pen et parce que je pensais que je devais tout faire pour l’éviter mais aussi pour contribuer à un monde plus acceptable pour mes enfants. J’ai donc rejoint la campagne d’Emmanuel Macron. »
Quel a été votre rôle pendant la campagne présidentielle de 2017 ?
« J’étais encore directrice de l’ENA, soumise à une obligation de neutralité absolue et soucieuse de la respecter, mais aussi de continuer à exercer mon mandat pleinement. Je participais donc le soir aux activités de la campagne d’Emmanuel Macron, dans le groupe en charge des questions internationales. »
En juin 2017 vous êtes nommée ministre chargée des Affaires européennes du gouvernement d’Édouard Philippe. Une expérience enrichissante pour la diplomate de formation que vous êtes ?
« C’était une tout autre vie que celle de diplomate, même si je revenais physiquement dans les locaux du Quai d’Orsay. J’étais entrée en politique, j’avais fait le grand saut. Bien connaître le ministère était évidemment un atout, mais les affaires européennes sont un domaine par essence interministériel. Il s’agissait de travailler main dans la main avec les autres membres du gouvernement. Muriel Pénicaud sur les travailleurs détachés, Françoise Nyssen sur les droits d’auteur, Didier Guillaume sur la PAC et la pêche, Édouard Philippe sur le Brexit ou les grands dossiers de concurrence européenne…La vraie découverte a été l’activité parlementaire, son importance pour un ministre, le soin à y apporter. Il faut croire que j’y ai pris goût… »
Quel souvenir gardez-vous de votre travail avec Jean-Yves Le Drian ?
« On fait difficilement plus dissemblables que Jean-Yves Le Drian et moi à première vue. C’est sans doute pour cela que notre entente a été sans nuage. Le premier jour, je lui ai dit : « je t’expliquerai le Quai d’Orsay, tu m’expliqueras la politique ». Ça a bien fonctionné, même si, voyageant énormément l’un et l’autre, nous nous voyions très peu. Tout a reposé sur la confiance et la confiance était là. »
Quel souvenir gardez-vous de votre travail avec Édouard Philippe ?
« En politique, on croise énormément de gens qui voudraient qu’on les aime, beaucoup -trop- qui s’aiment démesurément et quelques très rares personnes qui aiment les autres. Édouard Philippe en fait partie. C’est un chef d’équipe en or, un énorme bosseur, très chaleureux, très énergique. Bon, c’est l’écurie Juppé, on a des références communes, forcément. »
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre participation au gouvernement d’Édouard Philippe ? Quel bilan gardez-vous de vos deux années passées au ministère des affaires européennes ?
« Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. J’ai eu la chance de porter l’ambition européenne du président le plus européen de la 5ème République. Ça place la barre assez haut, il faut le reconnaitre. Mais c’est aussi un formidable booster.
« Souvenez-vous du discours de la Sorbonne, un moment fondateur sur la vision européenne d’Emmanuel Macron. Quand il eut fini de le prononcer, il s’est tourné vers moi en souriant, l’œil malicieux, pour me dire « Bon, moi, j’ai terminé, à vous de mettre en œuvre, si ça ne marche pas, ça sera de votre faute ! » Quand j’ai quitté mes fonctions, près de la moitié des propositions de la Sorbonne avaient commencé à voir le jour. »
En mars 2019 vous démissionnez du Gouvernement pour prendre la tête de liste aux élections européennes de juin 2019. L’envie d’une nouvelle expérience en étant confronté aux choix des urnes ?
« J’ai parlé du grand saut. Quand on entre en politique, on a besoin de passer par l’étalonnage de l’élection. Sinon, on reste « issu de la société civile », ce qui est très honorable mais différent. Une campagne, c’est dur, c’est violent, surtout maintenant, surtout une première campagne à l’échelon national, à mi-mandat, en pleine crise des Gilets Jaunes. J’ai appris en marchant, j’ai commis des erreurs, j’ai progressé et j’ai aimé ce contact privilégié avec des milliers de français partout à travers notre pays. »
En juin 2019 vous êtes élue députée européenne sur la liste de la majorité présidentielle, Renew Europe. L’Europe a été un élément moteur dans la campagne présidentielle du candidat Emmanuelle Macron. Comprenez-vous l’euroscepticisme de certain ?
« Je ne suis ni fédéraliste, ni eurobéate. J’ai été élue pour changer l’Europe, pas pour gérer le statu quo. Ce sont les grandes transformations qui m’intéressent, puisque pour moi il n’y a jamais de fatalité. Mais il y a en revanche un danger bien réel, celui de laisser détruire l’Europe par les populistes qui entretiennent ce bruit de fond mortifère contre l’Union européenne. Croient-ils qu’on luttera contre le changement climatique, contre le terrorisme, qu’on régulera les GAFA ou qu’on tiendra tête à la Chine en nous recroquevillant sur le chacun pour soi ?
« La pandémie du COVID l’a montré avec violence : c’est là où l’Europe n’était pas assez présente, dans le domaine de la santé, parce que les eurosceptiques empêchent depuis des années qu’on étende ses compétences, qu’elle a cruellement manqué. »
Comment percevez-vous votre travail de députée européenne ?
« J’ai conduit 23 députés, la plus grosse délégation française, au Parlement européen. Nous avons contribué à créer un groupe politique, Renew Europe, qui est le troisième du Parlement et sans lequel aucune majorité n’est possible. Nous sommes là pour pousser des idées, pousser des projets, obliger la Commission, le Conseil à agir, comme pour la relance européenne post-Covid. Nous votons les textes législatifs européens, non sans les avoir profondément ciselés, nous nous emparons de causes que nous faisons connaître au grand public, comme le sort des Ouïghours en Chine, nous contrôlons l’action de la Commission…
« Chaque fois, pour agir, il faut chercher des soutiens, dans son groupe, dans d’autres, 4 groupes pro-européens et 27 nationalités. L’expérience de la diplomatie n’est pas inutile : comprendre, communiquer, convaincre. »
Comment définiriez-vous l’Europe d’aujourd’hui ?
« Le seul espace au monde qui porte au même niveau les valeurs de liberté individuelle, d’esprit d’entreprise et de justice sociale. Tout sauf un musée : le modèle du monde de demain. »
Comment avez-vous organisé votre confinement ?
« Activement, mais à distance. Le Parlement européen ne s’est jamais arrêté, mais s’est transposé en ligne. Nous avons inventé des réponses à la crise, débattu, progressé, voté intégralement à distance et dans toutes les langues, grâce à nos valeureux interprètes. Désormais je retourne à Bruxelles, mais pas encore à Strasbourg. »
Continuez-vous l’écriture de votre journal quotidien ?
« J’écris tout le temps, mais pas encore assez. Je note beaucoup, en permanence, j’écris mes discours, bien sûr, des tribunes aussi, c’est un véritable plaisir. Mais l’écriture à visée non professionnelle me manque. Le temps reviendra. »
Quel est votre rapport avec les réseaux sociaux ?
« Ambigu, comme beaucoup. Je publie pas mal, pour faire connaitre ce que nous faisons au Parlement européen, par souci de rendre des comptes aux électeurs. Je m’y informe aussi, de ce qu’écrivent des personnalités qui comptent pour moi. Je regarde peu les commentaires, pour me protéger de l’hyper-violence qui sévit sur Twitter notamment. Pour avoir fait campagne à travers la France entière, je sais d’expérience qu’un TT sur Twitter ne veut absolument rien dire. Les Français valent mieux que cela. Heureusement. »
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Un grand merci à Madame la ministre Nathalie Loiseau pour sa réactivité et sa collaboration lors de la préparation de ce portrait.