LA MÈRE : Viens à la messe dimanche prochain.
LUI : Je ne peux pas. Ça fait une éternité que je n’y ai pas mis les pieds.
LA MÈRE : Dieu est patient. Ça te fera du bien …
LUI : Ah ouais ? Je te rappelle que le théâtre aussi devait me faire du bien.
LA MÈRE : Enfin, peut-être pas le théâtre français …
LUI : Je pensais que les français croyaient à l’amour.
LA MÈRE : Ils y croient, mais c’est toujours un amour qui s’adresse à la mauvaise personne.
LUI : Dommage que tu ne m’aies pas prévenu.
LA MÈRE : Je pensais que tu savais.
Kinship, Carey Perloff – Extrait de la Scène 17 –
Un éternel recommencement ? Tel pourrait être le sentiment que certains peuvent ressentir à l’annonce d’un retour sur les planches de l’indomptable Isabelle Adjani. Après huit années d’absence théâtrale, son choix fut porté sur une pièce américaine contemporaine créée pour elle : Kinship, de Carey Perloff.
Comme à chaque fois le flot de critique et de négativisme se déclenche dès le retour de l’insaisissable et énigmatique tragédienne. Je décide de passer outre et finalement faire comme elle : laisser ma télévision et ma radio éteintes avant d’aller la voir déclamer au Théâtre de Paris. Ce bonheur de la voir jouer passe au-dessus de toutes ces balivernes de bas étages qui finalement n’intéressent que ceux qui les propagent. Ce serait intéressant de voir déclamer sur une scène de théâtre les mêmes qui la jugent.
Un sourire. Une émotion. Un personnage qui la hante. Des larmes. Jusqu’au bout, Isabelle Adjani aura réussi à nous transporter dans ce mélodrame amoureux, avec intensité et justesse, comme elle sait si bien le faire. Après deux heures passée sur scène on retrouve une actrice accomplie et épanouie, telle qu’on l’avait laissé huit années auparavant. Le temps semble soudain comme s’être arrêté sur ce visage d’ange.
Une fois le rideau baissé, l’émotion est toujours là. ELLE est toujours là. Le retour à la réalité semble en cette soirée de janvier plus compliqué à se faire que d’habitude. L’adrénaline n’est pas encore redescendue, l’excitation étant toujours à son comble. Nous faisons face à une actrice totalement habitée par son rôle et dont le retour parmi nous semble difficile au moment du tomber de rideau.
Quinze minutes plus tard, le public s’engouffre vers la sortie et mêlé parmi eux l’on retrouve Niels Schneider qui semble s’évader avec eux. Quelques minutes se passent et les agents d’accueils prient les quelques personnes encore présentes de bien vouloir quitter les lieux et commencent à mettre des chaînes aux grandes portes battantes du hall menant vers la sortie.
C’est là que l’apparition se fait : Isabelle Adjani apparaît métamorphosée sous des couches de vêtements sombres et ses traditionnelles grandes lunettes noires. ELLE ne l’a toujours pas quitté, l’émotion et les larmes non plus. Un attroupement d’une dizaine de personnes se fait autour de l’actrice sous le contrôle d’un ange-gardien aux allures de Christine Lagarde, qui ne la quitte pas d’une semelle en veillant qu’aucune photographie de sa protégée ne soit prise.
Ce sont ces moments privilégiés entre l’actrice et son public qui font qu’Isabelle Adjani est Adjani ! Certains diront qu’elle en sur-joue, d’autre qu’il y a beaucoup de cinéma là-dedans. Et si c’était elle, tout simplement ?!
LUI : (après un temps) Je me souviens de tout.
ELLE : (sincèrement surprise) Vraiment ?
LUI : Du moindre mot. Pas toi ?
ELLE : Chaque mot. Oui.
LUI : (après un temps) Et il en reste quoi ?
ELLE : Une photo en noir et blanc dans le coin d’une galerie d’art.
LUI : C’est tout ?
ELLE : Oui. (Pause.) J’imagine que c’est tout.
Ils se tiennent là, immobiles, chacun dans sa solitude.
Noir.
FIN
Kinship, Carey Perloff – Extrait de la Scène 22 –
Un véritable moment de bonheur à l’état pur comme une bouffée d’oxygène qui a remplie cette soirée hivernale du 3 janvier 2015. Merci Mesdemoiselles Isabelle Adjani et Vittoria Scognamiglio ainsi que Monsieur Niels Schneider pour ce moment.
@romainbgb, le 5/01/2015