Regard d’un paradis pas si perdu.
Chers Lecteurs,
La reprise étant bien entamé, je vous propose de continuer le chemin de l’entretien en donnant une nouvelle fois la parole à la jeunesse et à la politique. En effet, je souhaite partager avec vous le portrait atypique d’un député de la nouvelle législature. Je poursuis avec vous la découverte de nouvelle personnalité que compose notre Parlement sur #LaLettreR.
SciencesPo. C’est sur les bancs de la rue Saint-Guillaume, que notre interrogé effectuera ses études qui l’amèneront à l’obtention d’un Master en Affaires Internationales.
« J’avais envie d’avoir mon Bac et d’entrer à SciencesPo pour adhérer. »
C’est à ce moment-là que notre interrogé débutera son chemin politique en prenant sa carte à l’UMP. Son parcours l’amènera à être nommé Secrétaire National lors de la présidence de Jean-François Copé. De quoi souder des liens et créer des amitiés au sein des Jeunes UMP.
HEC. Fort de son goût de la découverte, notre interrogé s’inscrit dans cette École afin de compléter son parcours universitaire.
Cinven. Toute expérience étant bonne à prendre, le parcours professionnel de notre interrogé passera par les analyses financières au sein de cette société.
Bruxelles. Européen convaincu, c’est au sein de la capitale européenne que notre interrogé poursuit son parcours professionnel et académique lors d’un stage au sein du Service d’Action Extérieure de l’Union Européenne.
USA. Le chemin professionnel de notre interrogé va le conduire Outre-Atlantique pendant près de 8 années. Tous d’abord en rejoignant les équipes de l’Hudson Institute, puis celle de l’Atlantic Council. Dans cette continuité, l’enseignement qu’il avait débuté à SciencesPo se poursuivra au sein de l’Université de Georgetown.
#Circo7514. Dans la continuité de son parcours, notre interrogé prend le chemin des urnes en se portant candidat aux élections législatives de juin dernier pour la 14ème circonscription de Paris. Sa victoire lui permet d’entrer dans l’Hémicycle national en participant à la XVIème Législature.
Je vous laisse découvrir le portrait de Monsieur Benjamin Haddad, député de la 14ème circonscription de Paris.
Ce portrait a été réalisé lors d’un entretien dans un café parisien le 22 septembre 2022.
Bonne lecture !
@romainbgb – 10/10/22
***
Biographie Express de M. Benjamin Haddad :
*1985 : naissance à Paris.
*2003 : Titulaire du Baccalauréat série Économique et Scientifique mention Bien.
*2003-2008 : Master Affaires Internationales à SciencesPo Paris.
*2008-2011 : diplômé d’HEC Paris en majeur Économie Financière.
*2011-2014 : Secrétaire National de l’UMP.
*2012 : -Maître de Conférence à SciencesPo Paris.
-assistant analyste Financier chez Cinven.
*fév.-sept.2013 : stagiaire au Service d’Action Extérieure de l’Union Européenne à Bruxelles (Belgique).
*2014-2018 : chargé de recherche à l’Hudson Institute à Washington (États-Unis).
*2016-2017 : représentant de La République En Marche ! à Washington (États-Unis).
*2019 : publie Paradis Perdu : l’Amérique de Trump et la Fin des Illusions Européennes, aux édition Grasset.
*fév.2019-juin 2022 : directeur senior à l’Europe Center – Atlantic Council, Washington (États-Unis).
*2020-2021 : enseignant à la Georgetown University, Washington (États-Unis).
*depuis juin 2022 : député Renaissance de la 14ème circonscription de Paris.
***
À quoi rêvait le petit Benjamin lorsqu’il était enfant ?
« J’étais passionné d’Histoire. Je pense que déjà enfant j’étais passionné de voyages.
« J’ai grandi et vécu enfant pendant 2 ans aux États-Unis. J’étais un enfant très turbulant, avec beaucoup d’énergie. J’ai été exclu d’une école à 5 ans et d’une autre à 6 ans. Je lisais énormément. Ce qui était d’ailleurs l’une des seules choses qui m’apaisait. Voilà un peu ce qui me décrit.
« Je ne savais pas vraiment ce que je souhaitais faire. Je ne me projetais pas. Je pense que je ne me voyais pas faire un travail routinier ou classique. Je pense que j’avais déjà la curiosité de rencontrer beaucoup de gens, d’être sociable. Ce qui, je pense, me prédestinait assez rapidement à faire de la politique. »
Comment est née votre rencontre avec la politique ?
« Tout d’abord par ma passion pour l’Histoire dès le plus jeune âge.
« Ajoutant à cela des grands-parents, des 2 côtés, très patriotiques. Du côté paternel, une famille tunisienne immigrée en France, très attachée à cette intégration républicaine. Mes grands-parents sont arrivés à l’âge adulte, en changeant leurs prénoms et en parlant français. Il y avait vraiment cette intégration totale. Du côté maternel, une famille républicaine du Sud-Ouest, de Bordeaux. Mes parents se sont rencontrés là-bas. Un grand-père bonapartiste, très attaché à l’Histoire. Tout cela, je crois, a beaucoup joué.
« Je dois avouer que j’ai toujours trouvé cela intéressant. C’est-à-dire que l’on a souvent quelqu’un qui nous dit qu’un évènement l’a marqué. On a tous été marqué par le 11 septembre 2001 ou le 21 avril 2002. J’étais en Première et en Terminale. En réalité, je mentirais si je disais que c’était cela le déclic parce que je me rappelle très bien, alors que j’étais enfant, de l’élection présidentielle de 1995. J’avais 10 ans. J’avais suivi les débats, sans forcément les comprendre mais en me disant que c’était un métier qui avait l’air passionnant par la diversité des sujets, la rencontre des gens et les voyages. »
Que retenez-vous de vos années d’étudiant à SciencesPo ?
« J’en garde de très bons souvenirs. J’y ai rencontré la plupart de mes amis les plus proches. J’en retiens une culture du débat.
« C’est là où j’ai aussi commencé à m’engager en politique, à côté, auprès des Jeunes UMP. J’ai pris ma carte à l’UMP mon 1er jour à SciencesPo. J’avais envie d’avoir mon Bac et d’entrer à SciencesPo pour adhérer.
« Je n’ai pas été forcément l’élève le plus assidu en Amphi mais ai passé beaucoup de journées et de nuits à tracter et à coller des affiches. J’ai beaucoup lu.
« J’ai fait un Master d’Affaires Internationales. Ce qui était vraiment ma passion. J’ai passé ma 3e année dans un think tank à Washington. J’ai eu mon Bac en 2003. C’est la Guerre en Irak. On est 2 ans après le 11 septembre. Les questions internationales et le débat transatlantique sont vraiment au cœur des discussions. Le Moyen-Orient m’intéressait aussi.
« SciencesPo est vraiment un très bon souvenir. Je dois avouer que la suite de mes activités, que ce soit en politique ou dans ma vie professionnelle, s’est vraiment inscrit dans la continuité de cela. »
Que retenez-vous de vos études à HEC ?
« Je dois reconnaître que je m’y suis un peu ennuyé. C’était moins ma passion. Je suis content de l’avoir fait. J’y ai appris beaucoup de choses. Je m’y suis fait des amis. J’ai travaillé dans la finance et dans l’entreprise mais j’ai vite compris que cela n’était pas fait pour moi. C’était tout de même une superbe formation.
« J’ai appris je pense que c’est tout de même bien de se frotter au monde du privé et de l’entreprise. C’est là où je réalise que l’on ne peut pas être bon en tout. J’avais une envie d’engagement. J’avais une envie d’être dans le monde des idées, du service public, de l’intérêt général. Je m’y reconnaissais moins. J’y trouvais moins ma voie. C’était complémentaire. Vous voyez, ensuite lorsque j’ai travaillé aux États-Unis, j’ai participé à des levées de fonds. J’ai fait des RH, du management, beaucoup de choses qu’HEC m’a permis de développer.
« C’était une période intéressante aussi parce que je suis entré à HEC en 2008. Mon 1er cours de finance était 1 ou 2 semaines après la chute de Lehman Brothers. On était donc aussi dans un monde qui avait changé avec les fondamentaux de l’enseignement qui étaient remis en question. De ce côté-là, c’était quand même très intéressant. »
Quelle expérience retenez-vous de votre passage à l’UMP ?
« J’en retiens que c’est une formidable école militante. Quand tu es militant, tu te rends compte que la politique c’est avant tout une affaire de terrain. C’est tracter sur les marchés, coller les affiches, taper aux portes. C’est comme cela que l’on fait campagne. C’est comme cela que j’ai mené ma campagne des législatives, notamment.
« Je crois aussi que l’on s’y forge des amitiés incroyables. Marie Guévenoux, qui était ma présidente des Jeunes UMP. Aurore Bergé également.
« Ce n’est pas un hasard si l’on est tous proche aujourd’hui. Parce que quand tu colles des affiches la nuit. Parce que quand tu prépares des Universités d’été, cela crée des liens forts.
« Je pense aussi que c’était une époque où l’on attachait beaucoup d’importance au fond et à la réflexion. Je suis un libéral. Je suis pro-européen. Lors des Universités d’été, on avait énormément d’intellectuels et d’experts qui venaient échanger. C’était vraiment passionnant, ce sont des souvenirs formidables.
« Ce qui ressemble un peu à ce que l’on a fait lors de la rentrée parlementaire de Renaissance cette année. On y a fait venir des experts, avec pas mal de personnes qui nous ont parfois confrontés, challengés sur l’écologie, sur le travail, sur la souveraineté. C’était vraiment intéressant. Je pense que c’était utile et stimulant.
« J’anticipe peut-être vos prochaines questions, mais il y a un moment où il est vrai que j’ai arrêté de me reconnaître dans ce que la droite avait à proposer pour plusieurs raisons. Je trouvais que ma famille, ma philosophie, c’est-à-dire les libéraux pro-européens, était de plus en plus minoritaire à un moment où la droite a commencé à se radicaliser. Ceci en particulier sur les questions de société avec par exemple La Manif Pour Tous, ce genre de combat, ou même sur l’Europe à partir de 2012.
« Je suis parti en 2014. Je n’ai jamais été adhérent LR. Je n’ai pas participé à la primaire de la droite de 2016. Je ne m’y reconnaissais plus. Dans chaque famille politique, ce qui est le cas aujourd’hui, il y a des débats. Il y a des désaccords. C’est normal. C’est sain pour une famille politique d’en avoir. Mais là, ce n’est pas sur les fondamentaux. Nous, notre rapport à la République, l’Europe, sur le progressisme, sur la nécessité à réformer le pays, on a des fondamentaux qui sont très clairs. Après, on peut avoir des débats sur la méthode, sur certains sujets.
« Moi quand j’étais à l’UMP, on avait des personnes comme Thierry Mariani. Entre temps, je suis parti chez En Marche ! Lui est parti au RN. Il y a eu une clarification. C’est la même chose à gauche. Tout ceci était irréconciliable en termes de valeurs. On le sentait. Ce qui explique qu’à un moment donné ces 2 partis ont commencé à décliner et qu’une nouvelle offre a émergé. Je m’y sentais de moins en moins bien. Parmi les tournants, il y a eu La Manif Pour Tous.
« Je suis devenu Secrétaire National car j’étais un proche de Jean-François Copé qui est devenu président de l’UMP. Il a fait monter, là aussi, une génération de jeunes dans les arcanes du parti. C’était intéressant. L’un des tournants pour moi, c’est en 2014 quand je suis allé en Ukraine pendant la révolution de Maïdan. J’avais demandé à J-F. Copé de m’y envoyer comme envoyé spécial UMP pour soutenir et créer un partenariat avec le parti politique de Vitali Klitschko, maire de Kiev.
« J’y étais allé pour les soutenir. C’était la première fois que je voyais des jeunes se faire tirer dessus parce qu’ils brandissaient le drapeau européen. Il y avait des snipers sur les toits de Kiev. J’étais ému. J’avais envie de les soutenir. Cela a été le moment le plus inspirant de ma vie. Il y avait des dizaines de milliers de jeunes de 18 ans, mais parfois moins, qui dormaient dans des tentes par -20° et qui manifestaient. Il y avait une solidarité incroyable dans la ville avec certains qui venaient faire la soupe, d’autres qui s’entraînaient aux combats.
« D’une certaine façon, cela m’a redonné confiance en la politique. Cela m’a rendu à nouveau idéaliste. C’était important. Cela m’a aussi donné l’envie de revenir dans un engagement militant plutôt dans le domaine de l’International, dans le domaine des idées. C’est là que je suis reparti aux États-Unis pour travailler vraiment sur les questions européennes, sur les relations transatlantiques. J’étais convaincu que l’on allait devoir reparler d’Europe et en particulier des questions de sécurité. L’Europe allait devoir sortir d’une période d’atrophie qui avait duré 20 ou 30 ans. On avait des armées. On avait cru que l’on pouvait se reposer sur les États-Unis pour les questions stratégiques, que les conflits étaient terminés. Tous les sujets dont on parle aujourd’hui mais dont les prémices datent, à mon avis, de 2014. »
Comment s’est passé votre expérience d’assistant analyste financier chez Cinven ?
« J’ai énormément appris. J’y ai travaillé avec des gens brillants.
« À l’instant, j’ai discuté avec un jeune très brillant, qui a fait ma campagne et qui s’interroge un peu sur la suite. J’encourage toujours tout le monde à avoir le maximum d’expériences possibles. Parfois, pour fermer des portes aussi c’est utile. Pour savoir aussi qu’il y a des choses que l’on n’a pas envie de faire, ou dans lesquelles on n’est pas bon. C’est comme cela que je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi.
« A posteriori, je trouve que j’ai appris. J’ai rencontré des gens intéressants. J’étais fait plutôt pour faire ce que je fais aujourd’hui, je pense. »
Que retenez-vous de votre enseignement à SciencesPo, comme maître de conférences ?
« J’ai adoré l’enseignement. J’ai enseigné à SciencesPo et à Georgetown quand j’étais chercheur en relations internationales.
« La première chose est que l’on comprend toujours mieux en enseignant. On apprend en expliquant. J’ai toujours détesté le jargon. Je trouve qu’en fait lorsque l’on est chercheur et que l’on jargonne, généralement c’est qu’en fait on ne maîtrise pas vraiment le sujet.
« Je suis très attaché à la simplicité, à la pédagogie. Cela a toujours été très important pour moi quand je faisais de la recherche en travaillant dans les think tank d’expliquer, d’être présent dans le débat public, dans les médias. D’essayer d’écrire un livre qui était lisible, compréhensible, qui portait des messages. C’est une forme de mission du service public, d’une certaine manière. C’est presque une autre façon de faire de la politique, dans le sens noble du terme, c’est-à-dire sans levier dans la cité et porter des idées. L’enseignement pour cela, c’est génial ! C’est un sacré challenge. Il y a des gens intelligents, qui parfois ne sont pas d’accord. J’ai essayé de faire des cours de façon séminaire interactif qui accordaient énormément d’importance à la participation orale.
« Quand j’étais à SciencesPo, je donnais toujours énormément d’articles à lire, pour ne pas avoir à faire de cours magistral, autrement cela n’avait aucun intérêt. Surtout face à 20 étudiants. Face à un Amphi, c’est une chose. Mais lorsque l’on est face à 20 étudiants, je voulais un échange. Je leur donnais à lire en amont du cours, puis les interrogeais pour savoir ce qu’ils avaient pensé des textes ?! Savoir comment ils les expliqueraient ?! Pourquoi ils n’étaient pas d’accord ?! Pousser les étudiants à prendre position. Pousser les étudiants à s’affirmer dans leurs papiers, dans leurs exposés. J’ai fait par la suite la même chose à Georgetown. »
Comment avez-vous vécu votre stage au Service d’Action Extérieure de l’UE ?
« C’était un stage au Service Moyen-Orient, dans un service qui à l’époque gérait notamment la relation avec les pays où avaient lieu les révolutions dites du printemps arabe. Une réflexion sur comment l’Union Européenne devait travailler ses relations avec l’Égypte et la Tunisie. Je crois que j’y étais au moment du coup d’État du maréchal al-Sissi en Égypte. Une façon de réfléchir à la manière dont l’Union européenne pouvait flécher l’aide humanitaire, économique ? Quel type de relation politique pouvait-on avoir ?
« J’ai adoré Bruxelles. Je suis pro-européen. C’est une ville d’idéalistes européens qui viennent de partout pour s’engager à la Commission ou dans les Institutions européennes en général. Il y a une ambiance assez sympa. »
Vous avez été chargé de recherche à l’Hudson Institute. Qu’en retenez-vous ?
« Mon objectif aux États-Unis, c’était vraiment d’expliquer l’Europe aux Américains. Eux qui voient souvent l’Europe uniquement sous le prisme de l’OTAN ou des relations avec quelques États clefs. Je voulais vraiment essayer d’expliquer l’Union européenne.
« L’importance d’avoir une Union européenne forte, autonome, de comprendre l’évolution. Le fait que l’Europe devienne une puissance commerciale, une puissance normative sur les questions numériques et technologiques.
« Expliquer pourquoi il ne fallait pas que les Américains aient peur d’une Europe forte au moment où eux-mêmes étaient en train de se retirer progressivement de l’Europe pour aller vers l’Asie. De montrer finalement une Europe qui s’assume dans l’intérêt de tous, qui défend ses intérêts. Même si l’on aura des désaccords, ce n’est pas grave. J’ai passé beaucoup de temps à écrire en anglais.
« Mais aussi à essayer de faire la pédagogie sur certains sujets sur lesquels on a des malentendus transatlantiques. Un sujet en particulier c’est notre modèle de laïcité qui est très souvent attaqué, caricaturé aux États-Unis. Je suis arrivé en novembre 2014. Trois mois après mon arrivée, ont eu lieu les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher. Un traumatisme de vivre cela en tant qu’expat.
« Très vite j’ai été amené à constater que dans les médias américains on se retrouvait sur le banc des accusés. Il y avait vraiment besoin là d’une contre-offensive, d’expliquer, de nous défendre. J’ai rédigé beaucoup de papiers dans ce sens. Pareil, lorsque l’on a eu des débats lors de l’assassinat de Samuel Paty. Tout cela s’inscrivait, vous savez, dans une culture un peu woke aux États-Unis, qui ne comprenait pas ce que nous étions en train d’essayer de faire. Ils voyaient tout cela depuis un prisme culturel américain.
« J’ai essayé d’expliquer pour un public français ce qu’il se passait aux États-Unis et l’Union européenne pour les Américains. À la fin de mon expérience à l’Hudson, j’ai écrit mon livre sur les paradis perdus. »
Comment avez-vous vécu la présidentielle de 2017 en tant que représentant de LaREM à Washington ?
« Pour moi il y a eu 2 tournants.
« Le premier c’est la rencontre avec Emmanuel Macron, que j’ai rencontré quand il était ministre de l’Économie, lors d’un colloque à Washington au printemps 2015.
« Je me sentais très proche de ses idées en tant que libéral, réformateur, pro-européen. J’étais séduit par la personne publique. J’ai été séduit lors de la rencontre par son intelligence, par son optimisme, par son énergie. Il était venu présenter les réformes du travail qu’il était en train de porter. J’ai été très impressionné. J’ai vite pensé qu’il pourrait très vite devenir président de la République et que le cas échéant je m’engagerai.
« Le second tournant, pour moi, a été clairement l’élection de Donald Trump. Je suis arrivé aux États-Unis en novembre 2014. Au printemps 2015, Donald Trump déclare sa candidature.
« Pendant un an, tous mes amis américains, républicains comme démocrates, m’expliquent tous les 6 mois que c’est un épiphénomène, cela va exploser en vol. Aucune inquiétude à avoir, l’establishment va reprendre le contrôle. À chaque fois, tout est démenti et Donald Trump finit par l’emporter. Là j’ai vu un déni de la part des élites américaines par rapport à ce qu’il représentait, par rapport au dépassement, à la colère d’une certaine partie de la population qui a voté pour lui. Un refus de voir la réalité en face.
« C’est à ce moment-là que j’ai compris que cela pouvait arriver chez nous. On ne pouvait plus se permettre de dire que l’extrême-droite ne pouvait pas l’emporter. Il fallait proposer une nouvelle offre politique. Ce qu’Emmanuel Macron a fait et qu’Hillary Clinton n’a pas su faire. Hillary Clinton était à l’époque l’emblème de l’establishment, de l’élite américaine. Celle d’une gauche américaine qui devenait de plus en plus déconnectée sur les questions d’identité, de société et d’immigration.
« Je pensais vraiment qu’il fallait une nouvelle offre et c’est pour cela que j’ai décidé de m’investir davantage. J’ai créé un comité En Marche ! à Washington. J’ai été très actif depuis les États-Unis dans la campagne pour les expatriés. Il y avait un enjeu dans la participation. Il fallait s’assurer que les expatriés votent. Tout ceci en écrivant un petit peu, en m’exprimant sur les réseaux sociaux. En envoyant également des notes sur l’International, notamment, au service de la campagne. Ensuite, j’ai fait la campagne de mon député, Roland Lescure, en Amérique du Nord.
« J’ai un peu hésité à rentrer à ce moment-là mais au fond je n’avais pas encore terminé mon aventure professionnelle. Je m’amusais bien. J’étais bien aux États-Unis. J’ai essayé plutôt de me rendre utile depuis les États-Unis en portant un certain nombre de combats, de messages depuis là-bas. »
Vous avez publié Paradis Perdu : l’Amérique de Trump et la Fin des Illusions européennes. Comment avez-vous vécu les liens transatlantiques vus d’Amérique ?
« Tout à l’heure, je vous disais que je trouvais que mes amis américains étaient dans le déni de l’émergence de Donald Trump. Je trouve qu’une fois élu, ils ont été encore plus dans le déni de ce qu’il représentait. Très rapidement, on a commencé à dire que c’était la faute aux algorithmes de Facebook. C’était à cause de l’ingérence russe. Tout cela c’était vraiment la partie émergée de l’iceberg. Oui, il y a eu ingérence russe dans la campagne de 2016.
« Est-ce que c’est pour cela que Donald Trump a été élu, bien sûr que non. Lorsque Donald Trump fait 46% dans son pays, il faut s’interroger sur ce qu’il représente. J’ai eu envie de comprendre. Quand tu es étranger, tu es un peu plus extérieur à ces combats. Je n’étais ni pro-Trump, ni anti-Trump. Je voulais comprendre.
« La thèse de mon livre, qui s’adressait aux Européens, c’était de dire que Donald Trump n’était pas un accident de l’Histoire. Il n’était pas une parenthèse. Il était une continuité et une accélération brutale de tendances qui pouvaient exister, notamment sous Barack Obama. Que ce soit une forme de repli américain, de remise en question de l’exceptionnalisme et de la mission américaine sur la scène Internationale, d’éloignement entre les États-Unis et l’Europe et notamment de pivots vers l’Asie. Mais aussi de tensions qui traversent la démocratie et la société américaine. J’avais envie d’expliquer cela. Ce n’était pas un livre sur les tweets, les scandales etc… Tout cela ne m’intéressait pas.
« Ce qui m’intéressait surtout c’était de voir ce qui durerait au-delà de cette présidence. Pour dire aux Européens : « Attention ! Il ne suffit pas juste de serrer les dents ! », d’attendre 4 ans et qu’après tout reviendrait à la normal comme si de rien n’était. La première moitié du livre est donc analytique. La seconde moitié est un vrai plaidoyer, un peu militant, pour la souveraineté européenne. Dire que c’est aux Européens maintenant de se prendre en charge sur le plan militaire, sur le plan énergétique, sur le plan technologique, de se réconcilier avec la puissance, en particulier dans un monde où l’enjeu est enrôlé de menaces. J’ai beaucoup de pages dans mon livre sur l’Ukraine, sur la Russie et la place de l’influence russe. Mais aussi sur l’instabilité de notre voisinage en Méditerranée, en Afrique. C’est un plaidoyer pour que les Européens se prennent en charge. Non pas seulement contre les Américains mais sans les Américains si nécessaire. »
Vous avez été directeur senior à l’Europe Center – Atlantic Council. Quelle expérience en retenez-vous ?
« Là, c’était passionnant. En fait à l’Hudson, j’étais plus dans un poste de chercheur. Mon job, au jour le jour, c’était vraiment d’écrire en anglais, en français. À l’Atlantic Council, j’avais vraiment la possibilité de créer ma propre marque. Là, au jour le jour, mon job consistait à manager le Centre : lever des fonds, recruter, gérer les ressources humaines etc… M’occuper de tout cela à Washington mais aussi au niveau transatlantique parce que l’on avait des bureaux un peu partout en Europe.
« Il y avait par exemple sur l’Union européenne, un énorme programme de gestion sur toutes les questions de régulation sur le numérique.
« Comment l’on pouvait avoir un dialogue européen et transatlantique sur ces sujets ? On avait un gros programme sur la relation avec le Royaume-Uni post-Brexit. Comment la réinventer ? Un sujet aussi sur les relations France-Allemagne post-Merkel.
« Comment expliquer aux Américains les questions d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne ? J’avais d’ailleurs fait faire un partenariat avec le Ministère de la Défense français qui m’avait envoyé un de ses collaborateurs pendant 2 ans pour faire un peu ce travail de traduction et d’interprétation pour les Américains.
« On avait aussi un gros programme sur les Balkans. J’avais ouvert un bureau à Belgrade. Comment avoir un dialogue transatlantique pour la stabilité et la paix dans les Balkans ? Les questions de la désinformation.
« C’était vraiment passionnant. Je suis arrivé avec un programme qui employait 2 à 3 personnes et j’ai terminé avec un programme de 25 à 30 personnes à temps plein ou partiel. On a fait intervenir Ursula von der Layen, Josep Borrell, le président de la République. On a d’ailleurs lancé le Centre avec Emmanuel Macron et une dizaine d’expert autour d’une vidéo à l’Élysée en janvier 2021. Mais aussi Florence Parly, Clément Beaune.
« L’objectif c’était quoi ? À la fois de produire des notes et de la réflexion. Mais aussi de créer une plateforme, un espace à Washington pour les Européens. Pour qu’ils puissent s’exprimer, dialoguer avec les Américains à plus haut niveau. Il est vrai que l’on a constaté, même après Donald Trump, que l’on a eu des crises et des désaccords transatlantiques. Les Américains se retirent d’Afghanistan sans intégrer les Européens dans leurs calendriers, notamment les Britanniques et les Allemands qui sont présents sur le terrain. Il y a eu la crise des sous-marins avec l’Australie. On a été un certain nombre de Français, depuis Washington, a expliqué pourquoi tout cela avait été fait un peu n’importe comment. Et bien sûr la Crise ukrainienne. On a vraiment eu beaucoup de travail mais c’était vraiment passionnant. »
Vous avez été élu député de la 14e circonscription de Paris en juin. Comment avez-vous vécu ce moment ?
« C’était émouvant. On a énormément travaillé avec toute mon équipe en essayant vraiment de faire une campagne de terrain. On était à 8 heures devant les écoles, à 10 heures sur les marchés, en continuant avec du porte-à-porte toute la journée, pour finir par 1 à 2 réunions d’appartements chaque soir. Tout ceci avec une énergie très positive. Cela fait quelque chose, de se présenter en plus dans la circonscription de ses parents. Il y avait vraiment une dimension personnelle, voire familiale. On a fêté la victoire dans un Bar du XVI e avec à la fois toute l’équipe militante et toute ma famille.
« En même temps, avec beaucoup de gravité et de responsabilité. Comme je vous l’ai dit, je viens d’une famille où mon père n’est pas né en France. Je viens d’une famille très patriote, très républicaine. C’est un vrai honneur et un privilège d’être là. Le soir des résultats, il y avait en plus une dimension supplémentaire de gravité parce que les résultats nationaux n’étaient pas à la hauteur de nos espérances. Il y avait des interrogations sur la situation dans laquelle on allait se retrouver avec cette majorité relative. Finalement, c’est aussi une opportunité incroyable aussi pour revitaliser notre démocratie, pour remettre l’Assemblée au centre du jeu, pour avoir une culture de compromis et de négociation dans le système politique. Ce qui rend la mission de parlementaire encore plus passionnante.
« Cela a été beaucoup d’émotions et beaucoup d’émotions contradictoires, le soir de la victoire. Puis, surtout, l’un des éléments les plus frappants c’est que tu te mets au travail tout de suite. C’est-à-dire que la campagne est terminée. Tu fêtes avec tes amis le dimanche soir. J’étais à l’Assemblé Nationale le lundi matin. On a commencé immédiatement. Le texte sur le pouvoir d’achat est arrivé tout de suite. On a eu un été bien chargé. »
Quel regard portez-vous sur votre expérience et votre rôle de député ?
« J’arrive avec beaucoup d’humilité. C’est mon premier mandat. Je suis là pour apprendre, pour apprendre de mes collègues. Je pense que l’on a une vraie responsabilité, que les Français nous ont donnée, qui est d’aller négocier, d’aller trouver des compromis, d’aller travailler avec les autres groupes républicains. Ce que l’on a fait cet été et qu’il faut continuer à faire. Je pense que cela rend la mission très intéressante.
« Je pense que l’une des raisons pour lesquelles j’ai eu envie de m’engager à nouveau et à plein temps, c’est que je pense que ces 5 années sont déterminantes. On le voit. On le sent. Un vrai défi sur le travail, revaloriser le travail, atteindre le plein-emploi. Je crois que c’est à notre portée mais il faudra faire des choix courageux. Il faudra porter des réformes ambitieuses. Sur la transition écologique, il y a une énorme attente. Je le vois avec beaucoup de jeunes qui n’ont pas voté pour nous, souvent à cause de cela. L’Europe. Ce sont évidemment des sujets qui me touchent particulièrement.
« Je suis déjà retourné 2 fois en Ukraine, en janvier, au moment où il y avait les soldats russes à la frontière, puis en août pour apporter mon soutien. Je pense qu’il faudra continuer à travailler avec explication et pédagogie sur les raisons de notre soutien à l’Ukraine. Pourquoi il faut tenir. Pourquoi il faut rester unis dans les sanctions, dans les livraisons d’armes parce que c’est un test pour toute l’Europe.
« Autant de sujets qui vont être brulants mais sur lesquels j’ai envie de m’impliquer. On a un groupe qui est bien armé, qui est bien soudé pour cela. Je pense que là, on a une responsabilité historique. Mais si l’on réussit, je pense que déjà on aura obtenu des résultats très concrets pour la vie des Français. Si l’on arrive à atteindre le plein-emploi, ce serait un tournant historique. 30 ans que l’on nous explique que tout a été fait, que c’est impossible.
« En faisant cela, on montre aussi que l’on est capable d’avoir une culture du compromis et des négociations à l’Assemblée nationale. Là en plus je pense que l’on aura un résultat démocratique important. Je pense vraiment que l’on peut avoir une participation en hausse aux prochaines élections législatives avec aussi un rééquilibrage du rapport de force entre l’exécutif et le législatif qui sera aussi très sain pour notre démocratie. »
Quel rapport avez-vous avec les réseaux sociaux ?
« J’aime beaucoup les réseaux sociaux. Je vais mettre un petit bémol quand je dis cela.
« Je les utilise beaucoup. Je suis très actif sur Twitter notamment. J’aime beaucoup le côté agora, tribune que cela donne. Je pense que c’est communiquer au sens noble du terme. C’est-à-dire expliquer ce que l’on fait. Répondre, écouter. Cela aussi est important. Cela fait longtemps que je suis très actif dessus. Il faut faire attention que cela ne devienne pas le règne de la petite phrase et puis surtout à ne jamais céder à l’injure, à l’attaque ad hominem. Il y a énormément de cela sur les réseaux sociaux, anonyme ou non.
« Ils ont une tendance à tendre nos débats. Ils ont eu tendance aussi à nous enfermer dans des bulles d’information. C’est certain. On le voit. On est guidé par les algorithmes sur ce qu’on lit, sur les personnes que l’on suit. Je pense qu’il faut se forcer à faire l’effort, déjà en termes de santé mentale, de décrocher, souvent. De suivre et de parler à des gens qui ne pensent pas comme nous. Enfin, de lire du papier. Je continue à lire énormément de livres et des journaux papier. Je ne sais pas pourquoi mais en lisant des journaux papier, cela force aussi à lire sur des sujets différents que ceux vers lesquels l’algorithme t’emmènerait spontanément. Je pense que c’est assez important.
« Je les utilise quand même beaucoup parce que j’aime bien. C’est tout de même un outil de démocratisation. Je suis souvent interpelé. Quand je le suis, poliment, gentiment, j’aime bien répondre, que ce soit en message public ou en message privé. C’est moi qui gère mes propres réseaux sociaux. Même si cela prend du temps, c’est très important pour moi.
« Il faut se prémunir de la violence, sans jamais sombrer dans les attaques. Je dois avouer que j’aime bien l’outil, vraiment. »
***
Merci à M. Benjamin Haddad pour sa bienveillance et sa participation.
Merci à M. Benjamin Lelasseux pour son aide précieuse.