Entre #Gary et #Kipling : Un lion d’aujourd’hui ?
Chers lecteurs,
Il y a des familles où la fibre littéraire est plus présente que d’autres. Après avoir découvert le grand frère chanteur, place au petit frère auteur. Dans un esprit de rencontre et de partage, je me suis lancé, à l’aide d’un gazouillis sur la branche, dans une demande d’interview avec le néo-auteur. Me voilà récompensé sur le chemin de la rencontre et de l’écriture pour le partager avec vous sur mon blogue.
Véritable maturité dans l’écriture et dans la pensée, dans la lignée d’un Romain Gary ou d’un Joseph Kessel, Edouard Bureau, 26 ans, nous emmène en Afrique avec son premier roman : Le Lion sans crinière, paru en janvier aux éditions Sable Polaire.
Magie de l’instant, je vous partage la discussion que j’ai eue avec lui, le lundi 29 avril 2019, dans un café parisien.
Bonne lecture !
@romainbgb – 07/05/19
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Bio Express :
1992 : Naissance à Pau.
2003 : Ecriture des premiers poèmes.
2004 : Rencontre avec Catherine Diot
2007 : Premier choc littéraire : Un amour pour rien de Jean d’Ormesson.
2013-2014 : Année en Italie.
Eté 2014 : – Pèlerinage de Compostelle entre Rocamadour et Saint-Jacques.
– Découverte de Joseph Kessel.
2017 : Démarre une relation épistolaire avec Stéphane Million (son éditeur).
Fin 2018 : Séjour en Amérique du Sud (Guyane, Brésil, Colombie, Pérou).
2019 : Publication de son premier roman, Le Lion sans crinière au Sable Polaire.
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Niveau culturel en France :
« Je ne sais pas si le niveau culturel est si bas que ça. J’ai beaucoup d’auteurs contemporains qui me viennent en tête et qui écrivent très bien. Je rejoins votre constat sur le niveau culturel actuel mais je me demande si cela n’a pas tout simplement toujours été le cas. Les grands noms qui faisaient la vie littéraire au XIXème siècle aujourd’hui ne sont plus évoqués. Un auteur comme Paul Bourget vendait des centaines de milliers de livres de son vivant. Aujourd’hui il reste totalement inconnu. Il ne faut pas tout systématisé même si je ne suis pas loin de partager votre constat. J’essaie de le nuancer quand même parce que j’ai eu de belles surprises !
« Je vais être un peu chauvin avec ma maison d’édition mais L’Homme nécessaire de Bénédicte Martin est un livre décidément fantastique. Je suis tombé des nues en le lisant. Elle a une écriture d’une puissance, d’une précision, qui sont incroyables ! Je la trouve exceptionnelle ! J’ai récemment lu L’Homme surnuméraire, qui est, c’est amusant, l’exact opposé à L’Homme nécessaire, de Patrice Jean. C’est un très grand livre. C’est une sorte d’analyse sociologico-cynique d’un homme moderne, d’un mâle blanc, hétéro, de plus de cinquante ans mais c’est surtout l’analyse de la perception qu’en ont les autres. On voit son évolution, le mépris qu’il peut susciter chez sa famille… On croise aussi un anti-héros qui se fait embaucher pour édulcorer les classiques de la littérature. Tout un programme… Un livre fantastique et grinçant… Dans un autre registre, il y a, enfin, Arnaud Le Guilcher qui me fait pleurer et rire sur la même page. Lui aussi est aigre-doux avec certains travers contemporains, où l’objective poésie s’efface souvent. »
Référence littéraire :
« J’ai lu beaucoup de Romain Gary, de Jean de La Varende aussi, un auteur qui n’est malheureusement plus édité aujourd’hui, un auteur qui décrit des personnages très nobles et qui possédait un sens très juste de l’aventure. J’aime Joseph Kessel bien sûr, Henry de Monfreid, Jean Giono. Pour la hauteur que je voulais donner à certains personnages j’ai été très marqué par Les nourritures terrestres d’André Gide.
« Peut-être pas dans celui-ci, mais dans le prochain, je vais essayer d’aspirer à des textes plus introspectifs, presque contemplatifs, pour arriver à une sorte d’épure dans les sentiments qui me plaît beaucoup. Une épure des sentiments mais pas du texte : dans un roman, j’aime la profusion. »
Premiers poèmes en 2003. Sans vouloir faire de comparatif avec l’un de vos frères, le plus connu, du moins pour l’instant, la fibre littéraire est bien présente dans la famille !
« C’étaient des poèmes très mauvais. Je ne les ai pas lus depuis quinze ans, je pense, et je ne pourrais pas les relire aujourd’hui sans effroi ! Pour moi, écrire est longtemps resté un acte très privé et personnel.
« Mon frère s’est très vite dirigé vers la chanson. Lui, s’est plus rapidement exposé ; il a eu un groupe de musique vers 14 ans. Il chantait ses propres compositions. J’ai mis plus de temps à me montrer. J’avais une poésie pour ma part très académique, qui n’avait pas vocation à être chantée. Dans mes souvenirs, je vous assure que ces poèmes sont vraiment terrifiants ! [Rires]
« Mais enfin, c’était une première expérience qui sortait un peu de l’enfance. J’ai été très encouragé par une des femmes, que je mets en dédicace, qui s’appelle Clotilde de La Faire, c’était ma professeure de français en 6ème. Elle m’a beaucoup poussé à écrire ces poèmes-là, aussi mauvais soient-ils. Je crois que j’avais besoin de cet encouragement. L’autre femme que j’ai mise en dédicace, qui est Catherine Diot, est aussi une femme qui m’a énormément poussé. Professeure de français, elle nous donnait des devoirs d’écriture d’invention. Elle nous laissait une liberté totale, inscrite en même temps dans le cadre qui nous était fixé. Je trouvais ça superbe !
« Je me suis cantonné à la poésie très longtemps. Je me suis essayé aux nouvelles beaucoup plus tard. Je trouvais ça très bien ; un exercice très sympathique que de devoir écrire une histoire complète, en une dizaine de pages. Je trouvais que c’était un bon exercice mais je cherchais en même temps quelque chose de plus abouti. C’est pour cela que je me suis lancé dans un roman. Cela me paraissait être l’accomplissement de quelque chose. Vous connaissez ça, mettre le point final à un livre est un plaisir, dont je parle souvent, mais qui reste intact. Quand j’ai fini le deuxième, je me suis à nouveau senti dans une situation où tout est fini, pour le meilleur et pour le pire, mais pour la suite en tous les cas. »
Premier choc littéraire en 2007.
« Je crois que mon premier souvenir littéraire est Histoires comme ça de Rudyard Kipling.
« Mon premier choc littéraire était Un amour pour rien de Jean d’Ormesson. Ma mère m’avait fait lire cela et j’ai été estomaqué. C’était le premier vrai texte pour moi, qui sortait de la littérature jeunesse. Un texte adulte, j’avais trouvé ça d’une puissance, d’une force… Il décrit une histoire d’amour en Italie. L’homme se détourne de la femme parce que c’est un volage. Il se rend compte, une fois qu’il a quitté cette femme, qu’il en est fol amoureux. Il fait tout pour essayer de la reconquérir mais il n’y arrive pas. C’est très beau ! Un Jean d’Ormesson des jeunes années, qui ne tombe peut-être pas dans les travers qu’il a pu avoir un peu plus tard. J’aime beaucoup ! »
2014 : Découverte de Joseph Kessel.
« La découverte de Joseph Kessel s’est produite beaucoup plus tardivement. Je bats ma coulpe, mais je ne l’ai pas lu avant 2014. J’étais sur la route des vacances avec mes parents ; à la radio, Guillaume Gallienne lisait des extraits du Lion dans une émission sur France Inter. Je me rappelle notamment de la description des animaux auprès du lac, avec un enchevêtrement de cornes et de défenses, que j’ai repris, un petit peu à ma sauce et comme un hommage, dans mon roman. Je voulais une scène comme ça, une scène avec des animaux, une scène très brute.
« Après avoir lu Le Lion, j’ai lu les autres ouvrages de Kessel, enfin pas tous car il a eu une œuvre vraiment prolifique, qui peut parfois se recouper. Il faut essayer d’avoir un petit peu l’œil en se disant « Ah ! Tiens. Ça je ne l’ai pas déjà lu ? » Il y a un côté magouilleur assez amusant ! C’était une belle rencontre, purement intellectuelle et spirituelle avec Kessel. »
Le même été, vous prenez le chemin du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.
« Je suis parti seul. On rencontre toujours plein de gens sur le chemin et finalement on ne le fait jamais vraiment seul. Je voulais marcher. Je revenais d’une année en Italie. Je voulais un petit peu remercier le Ciel pour cette belle année que j’avais passée. J’avais reçu une pluie de grâce, j’ai essayé de la poursuivre un petit peu, en faisant le chemin. C’était très beau. Je le conseille à tout le monde. Il faut essayer de le faire sur une période de temps assez longue parce que l’on sent son corps évoluer.
« J’avais fait un premier tronçon Le Puy-en-Velay/Rocamadour. J’avais repris mon chemin à Rocamadour pour faire le chemin Rocamadour/Saint-Jacques, en un mois et un jour je crois. Et c’est au retour que j’ai entendu Guillaume Gallienne lire Le Lion, quelques jours plus tard.
« En marchant, j’ai compris qu’il fallait essayer de sortir de son enveloppe, tout en reconnaissant qu’elle existe. C’est toute la dualité du corps et de l’esprit dans sa dimension christiano-européenne. Car l’homme est fait pour une forme de transcendance. Depuis le début on est appelé à regarder vers le Haut.
« C’est Bernanos qui disait que « l’on ne comprend rien au monde moderne si l’on n’y voit pas une lutte perpétuelle contre toute forme de vie intérieure. » Cette phrase m’a beaucoup marqué parce que j’ai l’impression que notre monde ne fait rien pour essayer de nous rendre meilleur et de nous élever. La preuve est précisément incarnée dans nos corps, puisqu’avec nos téléphones, on est obligé de courber l’échine, on va faire le gros dos. On va être dans une position très fermée. En se fermant, physiquement, on se ferme aussi intérieurement. J’essaie de m’extraire des affres du monde contemporain. »
Dans la continuité de vos voyages, il y a l’Amérique du Sud. Vous y partez à la fin de l’année 2018, avant la publication de votre premier roman.
« J’ai eu mon diplôme pour être avocat en octobre. Je voulais partir pour essayer de me vider la tête après deux années assez intenses. J’avais besoin de souffler avant de partir dans un monde professionnel qui ne fait pas toujours appel aux grands espaces dont je parlais. C’est le moins que l’on puisse dire.
« Je suis parti en Guyane pour rejoindre un copain qui est professeur au fond de la jungle. Je me suis fait embaucher comme professeur de français en quelques heures. Ces enfants sont dans une situation éducative qui est vraiment catastrophique. Ils ont très peu de professeurs qui ne restent vraiment pas longtemps. D’ailleurs je n’y suis moi-même pas resté longtemps, malheureusement ; mais si j’ai pu aider un petit peu…
« Je suis resté un mois et demi en Guyane. J’ai fait un petit tour pour rejoindre la frontière brésilienne. Au Brésil j’ai pris un taxi-brousse qui m’a conduit à l’estuaire de l’Amazone. J’ai remonté le fleuve pour arriver jusqu’en Colombie où je suis resté une journée. Je suis allé au Pérou, à Iquitos, puis à Lima. J’ai fini par un petit tour dans la Cordillère des Andes pendant presque quinze jours. »
Exposition publique et promotion Presse
« C’était à la fin de l’année 2018. Je suis rentré à Paris un jeudi soir à vingt deux heures. J’étais parti la veille de Lima ; ça ne faisait pas vingt quatre heures de voyage mais avec le décalage horaire… J’étais crevé. Vendredi matin je faisais le service Presse avec les envois aux personnes susceptibles d’être intéressées par mon ouvrage. Je fais des aquarelles dans mes dédicaces, j’ai trouvé ça sympathique. J’étais pris dans le rythme, comme cela, pendant huit heures, avec mes aquarelles et mes petits mots. Ce n’est qu’une fois les signatures terminées que je me suis écroulé comme une masse. Subitement, je me suis rappelé que je n’avais pas beaucoup dormi, éreinté par ce voyage. Mon éditeur était là et m’a bien encouragé. Ça s’est très bien passé.
« Le rythme est drôle, puisqu’il fallait que ça parte avant le départ en vacances des personnes, qu’elles le reçoivent, puissent le lire pendant les vacances de Noël, pour espérer un retour à la rentrée littéraire de janvier 2019. La vidéo de ma dédicace postée par mon frère sur les réseaux sociaux a créé un bel engouement. Le déclencheur a été ce moment-là. C’est un peu faux de dire que je n’ai pas eu beaucoup de presse. Comme c’est un premier roman, on en attend énormément. On s’attend à avoir un succès immédiat… En réalité, c’est un travail de patience – ou de lutte contre son impatience. Et, heureusement, il y a des gens qui ont cru très tôt au livre.
« Lors de la remise du prix Jean-Claude Brialy j’ai raconté, ce qui est vrai, que j’ai reçu l’invitation pour l’émission de RTS la Première quand j’étais au fond du Pérou, presque sans réseau, c’était très drôle : je ne pensais plus tellement au livre, j’étais dans un tout petit village à 3 300 mètres d’altitude, je souffrais du mal des montagnes… Puis, j’ai reçu le mail de mon attachée de presse qui me dit : « Est-ce que ça te dit de faire l’émission ? » …
« A RTS La Première, ils m’ont tout de suite suivi, tout de suite invité. Ils y ont cru ! Une émission d’une heure sur une fréquence radio nationale, c’est une prise de risque. J’ai trouvé ça quand même audacieux ! Puis, Patrick Poivre d’Arvor m’a présenté en coup de cœur début février dans son émission Vive les Livres ! sur CNews. J’ai eu beaucoup de chance. Il y a également Lionel Cecilio qui m’a lu dans l’émission Voyage au bout de la nuit sur C8, j’ai aimé voir le livre vivre de la sorte.
« Et puis, il y a eu La Grande Librairie ! L’émission était superbe, j’ai été extrêmement bien reçu par tous les gens de l’équipe. Ils m’ont fait comprendre qu’ils avaient vraiment aimé le livre et, de leur part, les compliments prennent une saveur plus sucrée que d’habitude. J’en ai été très touché. »
Votre livre vaut vraiment le coup de cœur ! Mais est-ce que, quand on est issu d’une famille où l’on a un parent célèbre, on ne finit pas par vous inviter parce que vous êtes le frère de … ?
« Si ça peut exister dans l’esprit de certains, ça n’a pas vocation à durer. Je crois cependant que nous évoluons dans des sphères tellement différentes… Le roman est quand même un exercice très éloigné de la chanson.
« Très honnêtement, j’ai pu profiter de ma fraternité avec Vianney, mais ce n’était pas tellement dans ma relation avec la presse mais plus dans ma relation avec les lecteurs. Sa story sur Instagram, où il filme qu’il est présent à ma première séance de dédicace, a eu un effet gigantesque. Des admirateurs de mon frère, qui ont su lui faire confiance, ont lu mon livre. Je pense que certains ont dû être déstabilisés car mon écriture est loin des textes de mon frère. Dans ce cas là, ça n’a pas dû leur plaire, je n’ai pas trop eu de leurs nouvelles [Rires]. Mais il y en a beaucoup, je ne sais pas dans quel rapport de proportion, qui se sont laissés aller à la découverte et qui ont été si élogieux sur mon roman ! J’ai ainsi reçu beaucoup de messages très sympathiques de leur part, ils me suivent, nous échangeons quelquefois et je les en remercie. »
2017 : rencontre épistolaire avec son éditeur, Stéphane Million.
« Le premier à avoir lu mon manuscrit a été Stéphane Million. Je n’étais pas très confiant vis-à-vis de mon texte et j’avais besoin des encouragements d’un professionnel, de quelqu’un de confirmé, pour que je prenne un peu d’assurance.
« Je lui ai envoyé un mail, pour lui faire lire mon texte. Pas tellement pour qu’il le publie, plus pour qu’il me donne son avis dessus. Je ne le connaissais pas auparavant. Mon frère et lui avaient eu un projet de graphisme ensemble. Rien à voir avec la musique, mais qui finalement n’a pas pu se faire. Vianney avait déjà pris attache avec lui et ils s’étaient bien entendu tous les deux. Mon frère m’avait dit que je devais lui envoyer, qu’il pourrait me comprendre.
« Stéphane m’a dit qu’il était partant en novembre 2017. Un mois après, pour Noël 2017, j’ai imprimé mon texte et je l’ai offert à ma famille, en cadeau, pour leur montrer vraiment ce que j’avais écrit. C’est particulier, le regard des proches. Ils ont été très sympathiques, mais, bêtement, on doute de leur jugement: on se dit qu’ils ne peuvent pas être objectifs, alors, quand ils font des compliments, on a du mal à les accepter. Mais, à l’inverse, quand ils font des critiques on s’imagine qu’ils le font vraiment parce que quelque chose les a dérangés et que leurs critiques sont retenues, alors que, non, elles sont très honnêtes et justes.
« Quand Stéphane a accepté mon texte, je me suis lancé dans le deuxième, tout de suite. Je me sentais d’un coup un peu plus légitime pour écrire, plus assis. Je me suis dit que l’écriture pouvait être une partie de ma vie, une partie de mon existence. J’ai écrit le deuxième en quatre mois. Je ne faisais quasiment que ça.
« J’ai écrit le deuxième et une fois que j’ai fini le deuxième, j’ai relu le premier et y ai apporté des corrections. Ça m’a donné un certain recul vis-à-vis de mon texte qui je pense, m’a été bénéfique. On voit ce qui nous plaît vraiment dans l’écriture, on essaie de se réinventer dans telle direction ou dans telle autre.
« Je considère vraiment que le point final du premier a été donné en novembre 2017. J’ai réécrit pas mal de choses quand même, mais c’étaient plus des ajouts. L’histoire d’amour qui est racontée n’était presque que suggérée dans la première version. Je l’ai explicitée lors des relectures. Je me suis rendu compte que ça donnait une dimension plus profonde, plus tragique aussi, aux personnages.
« Le bon à tirer est parti quand j’étais en Guyane, je ne l’ai même pas vraiment signé. Je sais que c’est un document symbolique pour beaucoup, mais moi je ne l’ai pas signé. [Rires] C’était fin octobre, début novembre 2018. J’avais déjà apporté des corrections et j’en ai apporté des dernières par téléphone, avec un mauvais réseau Internet, du fond de la jungle.
« A la fin des relectures, on vomit son texte, on n’en peut plus, on l’a relu quinze fois ! Pourtant, cette étape est indispensable, parce que même si on n’en peut plus, que ça fait dix fois qu’on passe sur la même coquille, la même faute d’orthographe, on corrige toujours quelque chose ! Mon éditeur m’a rassuré en me disant qu’aucun écrivain ne rendait un manuscrit sans faute, à part Michel Houellebecq ! C’est ce que dit la légende. »
Le Lion de Joseph Kessel a été important dans l’empreinte de ce premier roman. Avez-vous eu d’autres lectures à part celle-là ?
« Je crois que c’est Kessel qui est le plus présent dans ce livre-là mais Giono l’est également, pour les descriptions de la nature. Giono a un rapport sensuel, parfois même presque sexuel, avec la nature. Je ne dis pas que c’est ce que je voulais mettre mais je voulais écrire quelque chose d’un peu charnel, d’incarner quelque chose dans le sol.
« Je pense que c’est aussi l’une des thèses du livre que de dire que ce qui est hors-sol n’a pas de racine assez profondément ancrée pour être vraiment féconde. L’Homme appartient à une terre. L’Homme appartient, quoi qu’il le veuille, à des frontières, à un cadre. Quand on essaie de le refuser, au nom de la sociologie ou au nom de l’économie, on se perd complètement. Je pense qu’à terme c’est stérile.
« C’est plus politique mais j’ai un attachement aux questions écologiques assez fort. Je crois qu’on le voit un peu en filigrane dans le livre. Le personnage de Perier, qui débute dans la plantation, dans la nature – même si c’est une nature cultivée – s’approche de la ville au fur et à mesure de la révolte. Or, le cadre urbain va être le lieu de toutes les perditions de son ami. Il va s’en séparer et vraiment se retrouver dans la nature. Il y a une réconciliation entre Perier et la jungle. C’est ce retour-là qu’il faut essayer de retrouver. Je ne pense pas que la nature soit rancunière et si l’on recommence à se comporter un peu plus sereinement et bien avec elle, elle ne nous en voudra pas. »
Le personnage de Perier, c’est vous ? Au niveau des idées ?
« Je ne sais pas. Peut-être au niveau des idées, oui. Au niveau de la peur que l’on peut avoir vis-à-vis du pouvoir, oui. Finalement, il manque d’ambition aussi, ce Perier. Je pense que j’en manque aussi un peu.
« Le personnage se complète avec André Saint-Souris. Ce sont les deux facettes de n’importe quelle personne humaine. On a la tentation de s’enfermer dans une forme de solitude, comme on a la tentation de s’ouvrir complètement au monde, dans son sens théologique : avec ses affres, ses perditions, avec tous ces vices. Je pense que n’importe qui est à la fois Perier et Saint-Souris. J’essaie de faire des personnages symptomatiques sans être trop manichéens.
« Je me suis amusé, un petit peu, à faire débuter Perier en régisseur. C’est quelqu’un qui normalement est très terre à terre, quelqu’un de très calculateur, de rationnel. Au fil du livre il devient complètement poète. Même si les poètes ne sont pas des gens irrationnels, ils ont un rapport, parfois, un peu plus distant aux choses. J’aimais bien cette idée que quelqu’un qui soit très mathématique puisse devenir très aérien, très poétique. Et je ne pense pas que ce soit antinomique, bien au contraire. »
Place du poète dans la société.
« C’est depuis le XIXème siècle, depuis Verlaine, que l’on a essayé d’enfermer les poètes dans cette posture de maudits, de gens coupés du monde… Ce n’est pas vrai ! C’est Chesterton qui dit justement que les poètes sont des êtres très rationnels, que cette thèse des poètes maudits est une construction du XIXème siècle. Prenons l’exemple de Baudelaire : il n’est pas maudit. Il a une vie sociale, des correspondances riches avec tout le monde. Ça n’est pas un maudit, au sens d’un exilé de la société. Dante n’était pas non plus un maudit. Il savait très bien ce qu’il faisait, de même de Victor Hugo, de Rimbaud même. Non, vraiment, le poète maudit est une construction du XIXème siècle dont il faut se détacher pour mieux comprendre toute la force poétique.
« Dans les poètes contemporains qui me touchent, il y a d’ailleurs Loránd Gáspár, poète d’origine hongroise, qui écrit en français. Très peu publié, médecin de formation, il a une dimension scientifique, qu’on retrouve dans son écriture, qui donne une richesse originale à son œuvre. Il y a une forme de dialogue fascinant entre l’aspect le plus froid que l’on peut trouver dans la science et la dimension la plus chaleureuse que l’on peut trouver dans la poésie. »
« L’hiver arrive sur l’Europe. Et, bien souvent, c’est en hiver que meurent les poètes. » – dernière phrase extraite du livre Le Lion sans crinière.
« Quand on regarde, de façon très académique, ça n’est pas tout à fait vrai, les poètes ne meurent pas en hiver. Rimbaud n’est pas mort en hiver ; Baudelaire, Apollinaire, Mallarmé non plus. Mais Rimbaud l’a écrit. Ce n’est pas textuellement ça, mais il dit que l’hiver est propice à la mort des poètes ou que les poètes doivent mourir en hiver. Je ne sais plus pourquoi il dit cela. Il y a cette idée d’une mort de la poésie dans la saison la plus froide. C’est la saison la plus désespérante, et du même coup la plus inspirante.
« C’était aussi un clin d’œil à Mort à Crédit de Céline où il écrit : « Je suis né en mai, c’est moi le printemps ! » Il parle de sa naissance comme du printemps ; c’est une formule qui m’a beaucoup marqué et qui a été magnifiquement chantée par Daniel Darc. C’était le petit clin d’œil pour fermer la page, après la naissance du printemps. Enfin, c’est une lapalissade : c’est une métaphore éculée de parler de la naissance comme du printemps, de la vieillesse et de la mort. »
Ce qui, à mon sens, fait écho à la première phrase de La Promesse de l’aube de Romain Gary et sa description de la plage de Big Sur. Vous l’avez écrit à la fin, lui au début, mais je trouve que c’est assez troublant.
« Ah oui, c’est amusant ! Si je peux me permettre, j’ai écrit cette phrase parce que quand je lis un livre, très souvent, je lis la dernière phrase, voire le dernier paragraphe (j’ai une amie qui lit le dernier chapitre… alors ça, c’est non !).
« Je voulais faire une dernière phrase qui soit un petit peu elliptique, pour ne pas en dire trop sur le personnage. Si on remonte trois ou quatre phrases au-dessus, le narrateur dit beaucoup plus de choses. Je ne voulais pas trahir le suspens du lecteur trop rapidement. »
Quelqu’un de 26 ans qui cite Romain Gary, ce n’est pas anodin ! Votre rencontre avec Romain Gary s’est faite à quel âge ?
« Elle s’est faite il y a peu de temps. Je pense que ça se voit, j’ai été assez marqué par Les racines du ciel. C’est une épopée un peu folle, qui dans le fond est aussi perdue depuis le début. C’est pour cela que j’écris, comme beaucoup, avec des influences littéraires marquées.
« Gary est un auteur fantastique, bien sûr. Quand j’étais sur l’Amazone, j’ai lu Lady L. Ça ne collait pas du tout à l’ambiance. J’avais lu Cent ans de solitude, juste avant, et ça correspondait beaucoup mieux à l’atmosphère. Lady L. est très bien, mais ce n’est pas son plus beau. Les racines du ciel est au-dessus de tous. La promesse de l’aube est, dans mon panthéon, juste derrière. Les cerf-volants également. Je trouve ça beaucoup plus touchant que Lady L. alors que ça a un petit peu la même construction. Il faut que je lise Les têtes de Stéphanie.
« Chez Gary, ce que je trouve incroyable, c’est qu’il arrive vraiment à changer du tout au tout en étant Emile Ajar. Pour moi ce n’est pas Gary ; il arrive à s’extraire. C’est fantastique ! L’angoisse du roi Salomon par exemple est un texte qui se rapproche de La vie devant soi mais en aucun cas des Racines du ciel. Il a une espèce de poésie très enfantine quand il écrit sous Ajar alors qu’il met une poésie, finalement plus proche de Saint-Exupéry, sous Gary.
« Il a mystifié toute son existence. Vous voyez, c’est ce que je disais sur les poètes. Les gens un peu fous ont toujours quelque chose de très rationnel. Gary qui se lance dans la mystification d’Emile Ajar, finit malgré toute son extravagance à faire signer un contrat à son cousin, avec des pourcentages et des intéressements, des considérations bien strictes pour un poète ! La folie pour la folie n’est que de la folie. La folie qui se mêle à la raison, ça donne la poésie. »
En écrivain connecté, attachez-vous une importance aux réseaux sociaux ?
« Sur Facebook, je ne suis pas très actif. Sur Twitter, je découvre encore. Je trouve ça beaucoup plus ludique. Mais c’est Instagram que j’aime vraiment beaucoup. Il y a des choses fantastiques qui s’y passent. Si l’on reste sur son fil d’actualité, l’on ne voit finalement que ce que l’on a choisi de voir. Instagram est un beau réseau social je trouve. La possibilité de mettre un texte, sous la photo, est plus importante que sur Twitter. Je me permets du coup d’écrire un petit texte sous mes photos. Ça lie deux intérêts que j’ai. Non pas la photo, mais la photo avec mon téléphone : je publie les petites joyeusetés du quotidien, avec mon goût pour l’écriture. Je fais des petits posts en passant, j’aime beaucoup Instagram. S’il n’en resterait qu’un, ça serait celui-là [Rires].
« Sur Twitter je suis halluciné par l’esprit que les gens ont. Certains sont extrêmement drôles sur Twitter. Il y a @popoesie qui me fait mourir de rire. @ClementBenech, bien sûr, est une star de Twitter, d’une grande finesse et d’une profonde gentillesse. Il est très fort ! »
La suite ?
« En fait, j’aimerais finir le troisième roman. J’essaie de garder le rythme que j’ai pu avoir pour le premier : ne débuter les relectures qu’avec de la distance, c’est-à-dire après avoir écrit un autre texte. Le troisième me demande un engagement que je n’avais pas sur les deux premiers. Je le trouve assez exigeant pour moi-même. Il est très élevé. Il sera beaucoup plus court que les deux premiers. Une fois que j’aurais fini ça, je ferai les relectures du deuxième.
« Le deuxième va être très beau. Pardon, ce n’est pas pour être prétentieux [Rires]. Mais je l’ai voulu le plus proche possible du Ciel. Quelque chose de très haut, de vrais beaux sentiments et une noblesse de cœur. La paix du cœur. Ce sont deux petits bergers qui ont une vie très sereine. Il y a un homme qui arrive, du Nord, qui apporte plein de petits progrès. Cet homme est la personnification de l’industrialisation, de la vie moderne, du progrès technique. Ces petits bergers, tranquilles dans leur vallée, vont la voir se modifier et toute leur sérénité disparaître. L’idée c’est de reconquérir ça, la beauté de leurs cieux, la sagesse des anciens. Les poésies et les chansons qu’ils ont pu apprendre… Le titre serait normalement Le Grand Batave. Cet homme qui vient du Nord, qui arrive dans les Alpes, est Batave. Le titre est venu assez naturellement, comme le premier. »
Dans Le Lion sans crinière, aviez-vous un message à faire passer ?
« Pour tout vous dire, j’ai débuté le livre avec un certain but et ça n’a finalement pas été celui que j’ai poursuivi. J’ai fait évoluer le livre dans un sens tout autre que celui que je voulais. Le cynisme, qui prend le pas sur l’idéalisme de Perier, est devenu un peu le thème principal, mais ce n’était vraiment pas le cœur du sujet dans les premières pages que j’ai voulu écrire.
« C’est que ça correspondait aussi à ce que je vivais à ce moment-là. J’étais à un carrefour dans ma vie professionnelle. Je me suis dit : « Vais-je me perdre, en choisissant une vie plus proche du pouvoir ? » Comme cela m’a effrayé, j’ai choisi un thème qui allait dans ce sens-là, ça a presque été cathartique.
« Il y a aussi l’aspect naturel de ce roman que j’aime beaucoup, qui s’éloigne complètement du cynisme. Le narrateur se retrouve plongé, revenu à la nature ; et là, il s’accomplit. Saint-Souris, lui, demeuré dans la ville – qui roule à toute berzingue vers elle – à l’inverse ne s’accomplit pas. Mon éditeur, qui est à chaque fois très élogieux du livre parce qu’il faut s’en persuader pour bien le défendre [Rires], dit que c’est « le grand roman du désenchantement » ! Je crois qu’il y a quelque chose de cet ordre-là. »
* * *
Un grand merci à Edouard Bureau pour son écoute, sa disponibilité, sa confidence et ses bons mots.
Rares sont ceux qui prennent le temps, alors encore un grand merci à vous Monsieur Bureau !
Merci pour votre initiative et la qualité de votre approche.
Merci pour votre retour 🙂