« Ce qui nous est connu est suffisamment inquiétant pour que nous puissions accepter de courir le risque de l’inconnu. »
Romain Gary
Un diplomate – écrivain français de quarante-neuf ans, héros de la France Libre, prix Goncourt. Une actrice américaine à la beauté si moderne de vingt-quatre ans. Un village corse. Le 16 octobre 1963, Romain Gary épouse Jean Seberg dans le village de Sarrola. Personne n’était à ce jour remonté au jour de la cérémonie : c’est chose faite aujourd’hui avec Ariane Chemin. Le Mariage en douce entre ces deux écorchés vifs de la vie est relaté par la grand reporter du Monde.
Une évasion à travers ce livre que l’on dévore en l’espace d’une après-midi. Un petit bijou qui nous est offert par Ariane Chemin en souvenir d’une époque révolue. À bout de souffle du début à la fin de ce roman. La promesse de l’aube est bien là ! Ce qui m’a poussé à travers un gazouillis sur la Branche a demander à Ariane Chemin si un papier sur mon blog concernant Romain Gary serait possible. Chiche ! Pari tenu ! Voici l’entretien qui a eu lieu le 17 mai dernier dans un café parisien.
RomainBgb : « Une petite genèse avant d’en arriver au livre : »
Ariane Chemin : « J’étais en Hypokhâgne classique à Condorcet quand Diego Gary y était aussi, en moderne je crois. J’en ai une image fugitive. Je me souviens de sa beauté à vrai dire. Puis il est parti assez vite. C’était juste après le suicide de son père. Je faisais des études de littérature et je me souviens que pour nos profs Gary, c’était un peu ringard ! On était en pleine époque du nouveau roman, du structuralisme et Gary c’était l’inverse de tout ça … Il y avait des personnages, contrairement à une époque qui prônait la fin du personnage. Il y avait une intrigue, etc.
« Je pense qu’il a été un peu, non pas méprisé, mais un peu oublié et dédaigné à cause de ça. Saint-Germain des Prés aimait les écrivains engagés, ils étaient de gauche et on disait que Gary c’était l’écrivain du Régime. L’époque n’avait rien pour faire de moi une fan inconditionnelle de Gary. En revanche, c’est vrai qu’elle [Jean Seberg], sans être une cinéphile invétérée, m’a toujours intriguée !
« J’ai vu un documentaire [« Eternelle Jean Seberg » – janvier 2014] d’une spécialiste du cinéma, Anne Andreu, qui avait fait un formidable documentaire. Il racontait toute l’histoire avec le FBI, que je ne connaissais pas.
« Mais c’est vrai que l’idée de cet ouvrage est quand même venue de Corse. C’est parce que l’on m’a parlé de ce village de la vallée de la Gravone, ça m’a intriguée. En lisant toutes les biographies, celles qui font foi, l’affaire était résumée en un paragraphe. Ce qui est étrange pour un amour mythique ! En allant là-bas je me suis rendu compte que les détails étaient faux. »
Romain Gary, comme vous le rappelez dans votre livre est un as du brouillage de pistes.
« Un vrai spécialiste de l’enfumage ! Et d’ailleurs, moi, je me suis fait un peu avoir aussi, quand j’ai écrit pour la première fois sur ce mariage. Je me suis trompée sur le nom d’un des témoins, dans la légende photo »
En fait on se prend au jeu dans l’histoire
« Bien sur. Un corse qui habite São Paulo m’a écrit hier et il me disait que sa grand-mère lui parlait de ce mariage comme d’une légende corse. On m’a dit, ils sont allés déjeuner dans tel restaurant … Je vous assure qu’ils sont partis en bâteau … Les gens me disaient ça avec telle une certitude …
« Le maire, Natale Sarrola [1919-2007], je l’ai connu brièvement, je le suivais [quand j’étais au service politique du Monde] la politique corse. Il avait été nommé à 82 ans président du Conseil général de Corse du sud. A l’époque, je n’étais pas au fait de cette histoire. Je connais plein de journalistes qui était aller le voir, en lui disant « maintenant vous pouvez nous raconter ! » Et il n’a jamais voulu ! La seule chose qu’il confiait c’était que la mariée « était très triste et très jeune ! » C’est tout ! C’est vraiment un coup de chance que quelqu’un m’ait téléphoné pour me raconter cette journée particulière. »
C’est vrai que c’est une histoire assez édifiante. Du coup vous vous y êtes intéressée et vous êtes allée
« Je suis allé au village. J’ai vu cette dame qui s’appelle Martine Pieri, qui est la seule à avoir vu un peu l’esquisse de la cérémonie, puisque le maire l’a chasse de la place du village. Elle a aperçu de loin Romain Gary. Elle m’a dit « vraiment il est pas beau. » Elle a dit au maire « je pense qu’il est des pays de l’Est » parce qu’elle a eu un plombier, ou quelque chose comme ça, qui lui ressemble. Cinq jours après, elle commence à repérer des coupures de presse et à les archiver. Ce sont ces coupures que je retrouve, sous plastique, à la maire de Sarrola. »
Et de là vous avez pu avoir accès aux documents officiels du mariage
« Oui au registre, les documents sont accessibles au public. Le petit-fils du maire, qui ne connaissait rien de cette histoire, me les a montré. C’est vrai, que de me retrouver devant le registre m’a émue, je ne sais pas pourquoi. Comme lorsque l’on cherche longtemps quelque chose. Aujourd’hui Sarrola est un village qui s’est beaucoup agrandi. Il descend jusqu’à la banlieue d’Ajaccio, dans la zone industrielle. Seul, le petit village d’en haut est resté joli. »
Les mentions des médailles militaires de Romain Gary sont ajoutées à la main, dans la marge du registre. Et quelques années après, la mention du divorce viendra compléter le registre.
« Ils se marient en Corse un peu par hasard, un peu comme on se marie à Las Vegas. En même temps, j’ai voulu donner du sens à ce mariage. C’était aussi l’occasion pour moi de parler autrement de la Corse. Ça fait vingt-ans que je viens en Corse pour Le Monde et je me suis prise de passion pour cette île. J’ai toujours écrit des histoires de bandits, de voyous, des faits divers … Là, ça me faisait plaisir de narrer une histoire d’amour, les habitudes d’un maire de village, de décrire un banc, tout ce que moi j’ai pu observer, mais que je n’ai jamais pu en fait. »
L’idée vous est donc vraiment venue de Corse !
« Exactement ! L’idée m’est venue d’une personne corse très cultivée, qui habite dans cette vallée de la Gravona et qui un jour m’a montré le village et ça n’a jamais quitté mon esprit. Je me suis dit, si un jour j’ai le temps… Quelques années ont passé et puis voilà. On ne savait plus si l’histoire du mariage était vraie dans la vallée. C’était devenue comme un conte»
Du coup vous avez lu un peu de Gary maintenant ?
« J’ai tout lu ! J’avais lu Education européenne, La promesse de l’aube, la vie devant soi. Mais j’ai tout lu du coup, et j’ai vu tous les films de Jean Seberg pour l’occasion, ça m’a passionnée. J’ai même vu ce film introuvable, que les cinéphiles cherchent partout, qui s’appelle Les oiseaux vont mourir au Pérou, adapté d’un roman éponyme de Gary. Introuvable, un collector !
« J’ai lu ce qui avait été publié récemment, après les biographies qui datent du milieu des années 90. Par exemple, le fait que Diego Gary ait écrit un livre. Je voulais mettre à jour l’historiographie des personnages. C’était très agréable comme travail à faire : regarder trois fois les films, chercher les petits détails, les petits indices. »
Même la première épouse de Romain Gary est incroyable !
« Oui ! Je me suis plongée dans les livres de Lesley Blanch. C’est très atypique, drôle, très anglais. »
« Le seul qui n’ait pas parlé de sa vie intime c’est Gary. Gary c’est l’anti Christine Angot ! L’anti autofiction. Il ne parle jamais, quasiment jamais, de son fils, de Jean Seberg etc. … En revanche, plusieurs témoins de cette histoire ont écrit des mémoires. Que ce soit François Moreuil, le premier mari de Jean Seberg ou encore Lesley Blanch. Jean Seberg avait eu l’idée d’écrire sa vie, et à travers elle, celle de la lost generation. Elle n’a pas eu le temps, mais elle en avait le projet.
« J’aime beaucoup la pudeur de Gary. Il ne parle jamais de l’intime, de son intime, une attitude qui ne colle pas du tout avec notre époque. »
Vous aviez écrit à l’occasion du centenaire de Gary un article pour lequel Diego Gary vous a confié une photo du mariage de ses parents
« Il m’a donné l’autorisation de publier cette photo. Mais en réalité, il y en avait une seconde, prise par l’organisateur du mariage, Domy Colonna-Cesari. Ce monsieur a 94 ans. C’est un ancien des services secrets et il est corse. Ils l’ont choisi pour ça, parce qu’il ne parlait pas par nature et par profession. Il fait partie de cette génération très méritante de Résistants, qui ne se vantent jamais de leurs faits de gloire. Il a plusieurs enfants, mais il ne leur a jamais parlé du mariage de Jean Seberg. Ils ne l’ont appris qu’en 2016 ! »
Gary était tout sauf people ?
« Gary aimait jouer avec les caméras. Il aimait aussi l’image que renvoyait son couple. Il allait poser au zoo de Vincennes avec les éléphants après la sortie de Racines du Ciel. Mais ce n’est pas pour cela qu’il était people. D’ailleurs le mot n’existait pas à l’époque, on parlait de vedette. Je crois que mon livre est tout sauf un livre people. J’ai plutôt travaillé comme une biographe de leur couple, cinquante ans après leur mariage. »
Vous soulevez là un mystère digne des secrets d’Etat !
« Disons un mini secret militaire. Quand j’ai demandé à Domy Colonna-Cesari : « pourquoi vous n’étiez pas en uniforme ? », il m’a répondu : « je n’ai jamais eu d’uniforme ! J’étais là incognito ! ».
« Bernard Pivot a écrit que Domy Colonna-Cesari est un « sublime danseur de tango », on ne peut pas lui faire plus plaisir. Un jour il m’a dit : « quand je danse, je suis heureux. » Il est charmant. Je trouve que c’est justice que de raconter l’histoire d’un gamin qui part à 17 ans, qui traverse l’Espagne, qui est fait prisonnier parce qu’il veut rejoindre les Gaullistes en Afrique du Nord, ce n’est tout de même pas rien !
« Ce qui me plait chez Gary c’est quelqu’un qui ne s’est pas trompé. Il n’a pas été « mao ». Il a été à la fois Résistant et puis il a défendu la cause noire américaine. On ne peut pas dire qu’il ne se soit pas beaucoup trompé ! Je comprends qu’aujourd’hui il fascine des gens. Quelqu’un qui par exemple a très bien écrit sur lui, c’est Bernard-Henri Lévy. Mais, à l’époque Gary était vraiment dédaigné. »
Même par sa hiérarchie …
« Bien sur, par sa hiérarchie, vous avez raison, Couve de Murville etc. … et par Saint-Germain-des-Prés, il était chez Lipp avec ses chapeaux de cowboys et ses bottes pendant que les autres étaient en face au Flore.
« Quand il décrit dans Chien Blanc tous ces acteurs d’Hollywood, ces militants qui rackettent sa femme, il voit qu’il ne les supporte pas. En même temps, il ne manquera pas de la défendre. Son plus beau geste, c’est quand même quand il reconnaît l’enfant de Jean Seberg comme étant le sien, alors qu’ils sont séparés. Ou encore, la conférence de presse qu’il donne chez Gallimard pour expliquer que le FBI américain est responsable de la mort de son ex-femme. Ils sont très courageux tous les deux, si romanesques. »
@romainbgb – 27/05/2016