Mme Olivia Richard

Sénatrice représentant les Français établis hors de France.

 

Chers Lecteurs,

Le mois de décembre s’installe dans la chaleur de l’hiver en nous emmenant vers le Chemin de la Nativité et des fêtes de fin d’année. Voilà le temps de conclure pour 2024 vos lectures et mes échanges auprès de vous. Je vous propose de bien vouloir retrouver le chemin le chemin du Palais du Luxembourg. Je souhaite revenir avec vous sur le parcours d’une sénatrice qui a été élue l’an passé pour représenter nos concitoyens établis hors du Territoire national.

 

Je vous laisse découvrir le portrait de Mme Olivia Richard, sénatrice représentant les Français établis hors de France.

Mme Olivia Richard, sénatrice représentant les Français établis hors de France – ©droits réservés

Ce portrait a été réalisé lors d’un entretien au Sénat le 6 décembre 2024.

 

Bonne lecture !

@romainbgb – 20/12/24


 

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Biographie express de Mme Olivia Richard :

*1977 : Naissance au Chesnay (Yvelines).

*1995 : Titulaire du Baccalauréat série ES, mention Assez Bien.

*1995-2000 : DESS en Droit public et Sciences politiques à l’Université Panthéon-Assas.

*2001-2021 : Collaboratrice parlementaire de M. del Picchia, sénateur représentant les Français établis hors de France.

*depuis 2019 : rédaction d’une thèse en Droit public sur la représentation des Français de l’étranger.

*2021-2023 : Collaboratrice parlementaire de M. Cadic, sénateur représentant les Français établis hors de France.

*depuis 2023 : sénatrice représentant les Français établis hors de France.

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À quoi rêvait la petite Olivia lorsqu’elle était enfant ?

« Est-ce que c’était dans mes rêves et mes jeux d’enfants ?

« Je rêvais que j’étais super puissante ! J’étais Skeletor dans Les Maîtres de l’univers. Je m’en servais pour construire plein de choses.

« J’aurais voulu être magistrat, plus particulièrement juge pour enfants, sans vraiment savoir ce que c’était. J’ai fait des études de Droit mais finalement le public m’a beaucoup plus convaincu. J’ai toujours eu une préférence pour tout ce qui était droit institutionnel, constitutionnel, électoral. Comment s’exprime la démocratie ? Comment elle vit ?

« Je suis rentrée au Sénat à 24 ans. Je me suis rendu compte que finalement c’était nous les praticiens du droit constitutionnel. L’ENM c’était trop dur pour moi. »

Que retenez-vous de vos années lycéennes ? Comment avez-vous vécu vos années sur les bancs de l’Université de Paris Panthéon ?

« Pour mes années lycéennes, je dois dire que j’étais dans un cocon. J’étais à l’École Alsacienne, où j’ai effectué toute ma scolarité. J’y ai passé 15 ans de ma vie. Je n’ai pas vu tellement la différence. On était sur des rails.

« En revanche, l’arrivée à l’Université, cela a été un choc. Ceci parce que passer d’un cocon où l’on connait tout le monde pour arriver dans une Faculté avec 19’000 étudiants, où l’on n’est plus qu’un matricule. Cela a été une perte de repères assez importante. J’ai un peu perdu pieds.

« Je trouvais tout passionnant. Je trouvais que pour chaque branche du Droit, c’était un aspect de la vie des gens. Finalement, c’est de savoir comment l’on se pense comme société, qui m’a intéressé. C’est pour cela le droit constitutionnel a gagné le pompon. »

Comment est née votre rencontre avec la politique ?

« Un ami m’a dit : « Viens, on va à un café républicain ! » – « Mais qu’est-ce que c’est un café républicain ?! » – « Tu verras ! » C’était ce que l’on appelait à l’époque le pôle républicain avec Charles Pasqua et Jean-Pierre Chevènement. J’avais 19 ans. Mon ami m’y a emmené en me disant que l’on allait y rencontrer plein de gens, que cela serait super !

« Le premier sujet abordé était l’abstention des jeunes, qui ne votent pas. Ils ne sont donc pas considérés comme des clients intéressants pour les élections. Finalement, l’avis politique des jeunes est peu abouti parce que les jeunes ne votent pas. Quoi que l’on fasse, les jeunes ne votent pas. Il faut faire voter les jeunes.

« Je me suis engagé parce que je trouvais cela très intéressant comme angle. Et c’est vrai ! Finalement, les jeunes qui s’intéressent à la politique sont très excessif, d’un côté comme de l’autre. Pour faire intéresser le reste et se faire prendre en main et en charge c’est beaucoup plus difficile.

« On a organisé des cafés républicains. On a essayé d’intéresser les jeunes et commencer à réfléchir comment on pouvait les attirer à la chose publique avec cette prise de conscience que c’est eux la société de demain et que c’est à eux de choisir maintenant. Après, il n’y a pas de recette magique : les jeunes votent toujours aussi peu.

« Avec les élections européennes et la poussée de Jordan Bardella grâce à TikTok, on voit que oui, on peut intéresser les jeunes à la politique. Mais je suis catastrophé des médias qui sont utilisés pour le faire et du résultat que cela donne. Il y a une vraie réflexion urgente à avoir sur l’implication des jeunes en politique. Il faut supprimer TikTok. Je vais devenir très excessive moi-même. Je ne l’ai jamais téléchargé mais il faut impérativement réfléchir à ce que font nos réseaux sociaux à nos sociétés et à notre rapport à la démocratie en générale.

« Les jeunes ayant que cela comme premier pas dans la politique, ils votent pour quelqu’un qu’ils trouvent beau gosse. Qui va à la salle de gym. Qui dit qu’il a faim et a 10 millions de likes … Ils ne lisent pas. Quand ils s’informent c’est sur YouTube et je ne sais quel autre réseau social. Ce n’est pas de l’information. C’est de la désinformation. On voit bien qu’ils n’ont pas les armes pour avoir un avis éclairé. C’est catastrophique ! C’est vraiment une menace sur la démocratie. Pourquoi je suis si inquiète maintenant alors que j’étais intéressée du phénomène en juin ? Je le suis parce que TikTok a failli mettre à plat l’élection présidentielle en Roumanie. Ce n’est pas un pays de seconde zone la Roumanie.

« Il faut être très vigilant et impérativement réfléchir à une politique publique des jeunes et des écrans dans tous les domaines. On le sait. Depuis que je suis élue, je vois bien qu’on fait des petites réformes. On fait des petites touches. On touche un domaine à la fois, en disant à chaque fois qu’il faudrait penser au global. C’est vraiment très urgent.

« Il faut penser le rapport aux écrans. Que ce soit à l’école. Que ce soit les difficultés d’apprentissages. Que ce soit pour la sensibilisation. Que ce soit donc au rapport au politique. Que ce soit pour la menace que cela représente en matière de lutte contre la cyber-pédo-criminalité. On ne se rend pas compte. Il faut éduquer les parents. Ils ne se rendent pas compte. C’est devenu une béquille pour l’éducation. On est en train de faire une croix sur notre jeunesse. C’est dramatique.

« Voilà ! C’était la minute : « Ahhh ! qu’est-ce qui se passe ?! » »

Comment se passe la rédaction de votre thèse en droit public ?

« Je ne l’ai pas finie. J’ai appelé hier mon directeur de thèse pour l’informer que j’arrêtais. Décemment. Je ne peux pas dégager du temps pour cela.

« Je pense que les personnes qui ont voté pour moi aimeraient que je me consacre à elles, plus qu’à des travaux de recherches. Bon. Cela je l’ai entendu. Par ailleurs, une thèse, cela implique d’être dans une posture analytique de la situation. Ma thèse porte sur la représentation des Français établis hors de France. Dans la mesure où je souhaite la réformer. C’est une posture active qui n’est pas compatible, à mon sens, avec l’analytique. Comme me l’a dit mon directeur de thèse hier : « On se rappelle dans 2 ans, 4 ans, 6 ans, 18 ans… » Je ne sais pas. Je la ferais. Mais quand ?! … On verra.

« L’intérêt d’une thèse, tout en travaillant au Sénat, c’est penser à ce que l’on fait. C’est de donner un sens à ce que l’on fait. Il y a une immédiateté. Il y a une urgence en permanence. On est sur trop de texte. Il faut prendre le temps du recul et de se demander quel sens cela a, tout cela ? Pourquoi, dans mon cas, on représente les Français de l’étranger ?

« Jusqu’à la Révolution française, on quittait le Territoire, cela voulait dire que l’on refusait l’allégeance au Roi. C’était d’ailleurs soit par intérêt économique, commercial, soit parce que l’on voulait fuir l’autorité du Roi. On renonçait à l’état, la condition, d’être Français.

« Après la Révolution française, Napoléon a voulu étendre l’Empire des lois française dans le Monde. La nationalité est devenue un bien patrimonial que l’on transmet à ses enfants. Même s’il on n’habite pas en France. Même s’il on ne parle plus français.

« Il faut réfléchir à ce que cela veut dire d’être Français à l’étranger et comment l’on fait Nation ? Même à des milliers de kilomètres. Même lorsque l’on ne partage plus la langue. Que l’on ne croit pas que l’on ne s’intéresse plus à la France. Les Français qui n’ont jamais vécu en France, qui ne parlent plus le français, qui sont Français de 2ème ou 3ème génération, ont encore un attachement très affectif à notre pays. Il faut voir comment on lui fait participer à un tout. C’est une réflexion.

« Cela permet de s’interroger sur comment l’on fait société ? Même en France. Et également l’impérieuse nécessité de réapprendre à se parler, d’arrêter de désigner l’autre quel qu’il soit. Pour cela, je pense que le fait de représenter les Français de l’étranger donne un autre regard sur les fractures qu’il peut y avoir quand on représente des personnes qui encore une fois vivent dans un autre pays, avec une autre culture, avec une autre langue, et qui néanmoins sont Français. Je pense que c’est une grande leçon de tolérance, aussi. Cela force à chercher des choses qui nous relient, qui sont peut-être différentes de ce que l’on croit. Une envie. Une histoire. Un idéal. »

M. Robert del Picchia et Mme Olivia Richard – ©droits réservés

Comment s’est passé votre expérience parlementaire auprès de M. del Picchia ?

« C’était long. C’était pendant 20 ans. On a beaucoup rit. Je me suis amusé. J’ai adoré. J’ai adoré cela parce qu’il était un ancien journaliste radio. Il marchait à l’adrénaline, au rush du scoop. « On va être les premiers si l’on va faire cela. » Je rentrais le weekend en sifflotant, tellement j’étais ravi de contribuer à quelque chose.

« Il avait cette façon de prendre les choses avec beaucoup d’humour et beaucoup de distance, qui donnait une hauteur de vue qui je trouve manque un peu aujourd’hui. Les temps n’étaient pas les mêmes. Cela allait peut-être mieux à l’époque. Cela force à s’extraire un peu des querelles qui ne méritent pas qu’on perde trop de temps. C’est un Monsieur qui a beaucoup d’élégance, qui aime les gens. Cela m’a appris que la politique c’est pour les gens. Derrière les décisions que l’on prend, il y a des gens.

« Il m’a appris à ne pas me prendre au sérieux. Il faut d’abord écouter pour décider. Il faut beaucoup prendre le temps de nous confronter au gens et à ce qu’ils pensent et d’essayer de ne pas trop se prendre au sérieux.

« La leçon aussi, c’est sa fin de mandat, qui m’a montré également à quelle vitesse l’on disparait. Cela permet de relativiser beaucoup.

« Lorsque l’on est élu ici, j’ai vu la différence. J’étais collaboratrice parlementaire. Du jour au lendemain, on s’est mis à m’ouvrir des portes, à m’appeler « Madame la sénatrice ». Si j’oubliais mon badge, ce n’était pas grave, je pouvais passer quand même. Alors qu’avant, il fallait que je fasse la queue pendant 20 minutes pour le refaire. On change de case tout de suite. C’est très violent.

« C’est difficile de passer de l’ombre à la lumière comme cela. Le fait d’avoir été dans l’ombre si longtemps et d’avoir vu celui qui était dans la lumière pendant si longtemps, qui disparait du jour au lendemain, cela permet de relativiser beaucoup de choses. On est qu’une cheville ouvrière et on fait partie d’un tout. Il ne faut pas se prendre au sérieux. Cela ne dure qu’un temps. Ce temps-là, l’on doit l’exploiter à fond pour faire le mieux que l’on peut. »

Comment avez-vous vécu la campagne sénatoriale de 2021 ?

« Cela avait été très dense. On sortait du Covid-19. C’était l’enfer. Cela avait été décalé d’un an, pour les Français de l’étranger. Il fallait tout refaire mais en cours de route. Il a fallu tout reprendre.

« Comme toutes les personnes qui ont été confinés avec leurs enfants, pour les femmes, c’était la double peine. Cela, plus un besoin accru d’informations et d’analyses du droit, qui bougeait beaucoup, ce qui est vraiment mon cœur de métier.

« Je pense que cela a été difficile vraiment physiquement. Pour réussir à tout concilier, je crois qu’à un moment j’ai fait une petite dépression parce que j’avais des crises de paniques à l’idée de recommencer tout un cycle électoral. C’était vraiment très lourd.

« J’ai fait équipe avec un sénateur qui s’appelle Olivier Cadic. On a beaucoup rit. Cela s’est bien passé. Il n’empêche que seul lui a été élu et pas moi. J’étais en numéro 2. Et là, le sol s’est ouvert sous mes pieds parce que le mandat de Robert del Picchia s’arrêtait. J’étais battu. Et quoi ?! 20 ans plus tard… Tous ceci avec des personnes qui comptaient encore sur moi parce que le cycle électoral n’était pas complétement terminé. J’ai fait mon CV. Je l’ai envoyé où je pouvais. Je n’ai pas eu de retour. J’ai continué à travailler avec les élus qui comptaient pour moi. Cela permettait de ne pas trop se poser de question.

« Au bout de 6 mois, Olivier Cadic est venu me voir pour me demander de travailler avec lui. On allait essayer de construire quelque chose et peut-être je pourrais me représenter la fois d’après. »

Mme Olivia Richard et M. Olivier Cadic – ©droits réservés

Comment avez-vous vécu expérience parlementaire auprès de M. Cadic ?

« Cela a duré 1 ans et demi. On ne peut pas faire plus différend que MM. del Picchia et Cadic. Surtout après 20 ans de collaboration avec le premier.

« Je n’avais pas du tout la même relation parce qu’Olivier Cadic fait énormément de déplacements. On ne peut pas en faire plus. Il a fallu fusionner la revue hebdomadaire de M. del Picchia avec la lettre d’information de M. Cadic, qui est devenue plus régulière. J’ai inclus une rubrique supplémentaire pour lui, dans l’hebdomadaire, qui rendait compte de son action dans sa lettre d’information. Il a fallu s’adapter dans ce produit hybride qui n’était pas totalement satisfaisant.

« Olivier Cadic était sur des sujets que je ne connaissais pas. Cela permet de se renouveler. Comme par exemple, les entrepreneurs français à l’étranger. Ce n’était pas du tout mon centre d’intention. Il avait des opinions totalement différentes de Robert del Picchia sur les Écoles Françaises à l’étranger. C’est stimulant. C’est un autre point de vue. Cela a été plutôt un coup de fouet.

« Après, il a fallu que je continue à m’occuper des élus. C’est pour cela que je l’ai rejoint, pour continuer à travailler avec mes élus. J’avais encore Robert del Picchia encore très souvent au téléphone.il y avait quelque chose de la continuité.

« Après, il est évident que passer du statut de colistière, numéro 2, grâce à qui on peut compter être élu, à celui de collaboratrice parlementaire. Même s’il m’a laissé à une place différente. Ce n’est pas totalement la même.

« C’est difficile aussi de passer d’une relation presque filiale que l’on a pu avoir avec quelqu’un pendant 20 ans. J’ai grandi avec Robert del Picchia. Je suis arrivée à 24 ans. J’en suis partie à 44 ans. Il est évident que j’ai un rapport particulier avec lui. Il m’a tout appris. J’ai énormément de tendresse pour lui. C’est Papa del Picchia. Passer de cela à quelqu’un avec qui l’on a fait équipe pour une réélection. Ce n’est pas tout à fait le même rapport. Il faut se réinventer. »

Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle de 2022 ?

« Je n’ai pas du tout été impliqué de la même façon. Ce n’est pas du tout la même chose.

« Il n’y avait pas tellement d’option, en réalité. Je sentais bien que les Français de l’étranger, même s’ils étaient moins convaincus par Emmanuel Macron, ne voyaient pas tellement d’alternative. C’était un peu un « Qui est-ce ?! » Vous savez ce jeu où l’on élimine ceux qui ne correspondent pas et il n’en reste qu’un à la fin. Cela a été un peu cela sa réélection. Ce qui signifie qu’il n’y eu pas beaucoup d’enthousiasme.

« On a essayé de faire passer des projets pour les Français de l’étranger. C’est un moment très utile l’élection présidentielle parce que cela permet de sensibiliser les candidats aux problématiques que l’on défend. Si l’on arrive à les mettre dans le programme de campagne. On a une chance de faire passer des réformes après. Cela est amusant.

« Après, pour le reste, les Français de l’étranger ne passionnent pas généralement. Je n’ai pas intégré une équipe de campagne. Je veux travailler avec des personnes qui sont d’un peu tous les bords politiques. Je ne me suis pas investi plus que cela. »

Comment avez-vous vécu la campagne sénatoriale de 2023 ?

« C’était la campagne électorale la plus difficile que j’ai faite. Déjà, parce que j’étais tête-de-liste pour la première fois.

« Ensuite, parce que comme j’étais collaboratrice parlementaire, j’ai déposé tous mes congés d’un coup, plus un préavis sans solde. Je pense que je suis la seule candidate à avoir fait un prêt à la Banque pour pouvoir continuer à payer le loyer. Tout cela donc dans des conditions pas très confortable.

« J’ai une détestation, comme on l’aura compris, des réseaux sociaux, qui fait que je ne maîtrise pas l’outil. Ce qui n’est pas utile pour l’élection de sénateur des Français de l’étranger. On se connaît. C’est une élection qui se fait au téléphone, essentiellement. C’est une élection qui est très personnelle. Je n’ai jamais pris le temps de m’intéresser aux réseaux sociaux.

« Personne n’était ressenti comme totalement légitime. Ce qui signifie que pour 6 sièges, on avait 16 listes. Ce qui est le double de d’habitude. Ce n’est pas juste un peu plus. C’était totalement exceptionnel. Ce qui a déchaîné des choses qui ont été d’une violence. J’ai été victime d’un lynchage.

« Comme je n’étais pas élue des Français de l’étranger. Je n’habite pas à l’étranger. J’étais collaboratrice parlementaire et, disons-le franchement, une femme et pas de 75 ans. La cible du tir au pigeon a été facilement désignée. Ce qui n’est pas anormal. Comme j’avais une bonne chance de gagner. Certains ont cru, notamment d’anciens amis, que j’étais la candidate la plus fragile, et n’ont reculé devant rien en me traitant de prostitué. En balançant de fausses accusations d’une enquête pour abus de biens sociaux en mettant le nom du père de mes enfants sur X. En me traitant d’extrême-droite et en même temps de collabo et de radical de gauche. J’ai eu cela. Pro-Poutine. Voilà ! C’est-à-dire que comme je n’avais pas de positionnement politique que de dire que j’étais indépendante. Ce qui a facilité le fait de me faire dire n’importe quoi et de m’accuser de n’importe quoi.

« L’effet qui a été obtenu, outre que je n’arrivais plus à respirer normalement tellement c’était violent, c’est que cela a resserré les liens. Cela a été violent pendant un mois et demi. Ma famille ne m’a pas reconnu pendant un mois et demi. Après, ce n’est pas mon premier rodéo. J’ai vécu d’autres campagnes électorales. Ce niveau de violence a été inédit. Comme j’ai vécu de nombreuses campagnes, je sais qu’après cela s’arrête. Je sais que ce qui compte c’est de gagner. J’avais un choix. Soit, je répondais aux attaques. Je prenais un avocat. J’allais devant le juge. Je répondais sur les réseaux sociaux etc… Et je ne faisais plus que cela pour me défouler, pour me défendre. Parce que c’est pénible de se taire et de laisser dire. Soit, je continuais à faire campagne et j’assurais mon élection.

« Comme je savais que je pouvais gagner. J’ai assuré mon élection. J’ai été élue. Maintenant, ces gens qui m’ont trainé dans la boue, râlent parce que je ne les invite pas lorsque j’organise des choses. Et bah non ! Vous n’êtes pas invité. Je me suis recentré sur l’élection.

« Je trouve qu’ils s’en sont tiré à bon compte, aujourd’hui. En réalité, cela s’est assez vite éloigné parce qu’une vague en chasse une autre. Dès le lendemain de l’élection on vous prend par la main et on vous indique la marche à suivre pour ne pas être inéligible ou voire l’élection annulée. On arrive sur un autre stress.

« Puis arrive le projet de loi immigration. Il faut recruter quelqu’un. Une autre vague en a remplacé une autre. J’ai géré les urgences les unes après les autres et après tout cela s’est espacé. Avec le recul, cela me fait rire en fait.

« J’ai eu la chance d’avoir été soutenu par mes électeurs et évidemment ma famille. Mes élus avec qui je travaille étaient là. Ils ont tellement été outré que l’on puisse me faire cela. Cela fait tout de même du bien que l’on puisse compter sur des gens. »

Quel regard portez-vous sur votre mandat de sénatrice ?

« Il faut réussir à en faire quelque chose. Cela a été dur d’arriver dans la lumière. On le sait. J’ai eu un peu de mal à accepter d’y être. Cela prend un petit peu de temps de rentrer vraiment dans le rôle, dans le sens où je pensais que l’on n’avait pas besoin d’exister pour être efficace. C’est pour cela aussi que je suis resté dans l’ombre. Après, chacun son caractère.

« Je n’ai pas besoin d’être sur les photos. Cela ne m’intéresse pas. Je n’aime pas cela. Je pense avoir pu, grâce à Robert del Picchia et avec lui, faire passer beaucoup de réformes et des choses très importantes comme le vote par Internet des Français de l’étranger. Pour le coup, on a fait de belles choses et je n’avais pas le besoin d’exister.

« Après, comme sénatrice, ce n’est pas la même chose. J’ai dû apprendre à ne pas faire la grimace sur les photos. Puisqu’il faut être sur les photos. Ensuite, je vois bien que pour peser, pour être prise au sérieux, il faut exister. Et il faut exister de toutes les façons qui ne m’intéressaient pas. Cela ne m’intéresse toujours pas mais il faut le faire parce que sinon c’est plus difficile d’avoir le micro pour dire ce que l’on pense. D’être écouté quand on réussit à prendre le micro et dire ce que l’on pense.

« Sinon, c’est comme n’importe quel métier où l’on gère de l’humain. Il faut être là pour les gens pour qu’ils soient là pour nous. Il faut s’intéresser à des choses auxquelles on n’aurait pas pensé initialement. Il faut travailler. Il faut être là le plus possible.

« Il faut réussir à gérer la culpabilité. C’est vraiment quelque chose de propre aux femmes. Je le vois bien. Les hommes me demandent : « alors, t’es heureuse ? » Et les femmes me disent : « comment tu arrives à gérer ? » Donc, les sénatrices, c’est beaucoup de sacrifice, de gestion. Les sénateurs s’éclatent ! C’est tout à fait quelque chose de différent. Je ne dis pas que les hommes s’éclatent tous. Je ne dis pas qu’ils n’ont pas de problèmes. Je dis que l’on n’a pas la même façon de gérer les choses. Nous, on veut bien faire le travail. On n’est pas là pour le prestige. La plupart des femmes c’est cela tout de même. Mais vraiment, il ne suffit pas d’être compétent. Il faut, en plus, réussir à exister, sinon cela ne sert à rien d’être compétent. »

En tant qu’élue et citoyenne, comment vivez-vous la situation inédite dans laquelle notre pays est plongé ?

« Je suis sidéré !

« Je me satisfait d’être évidemment au Sénat et non pas à l’Assemblée nationale. Non pas parce que je regretterais de partir en campagne tous les ans. Ce n’est pas cela. C’est que je me félicite que l’on puisse constater l’importance du Sénat dans ce rôle de permanence démocratique. C’est une phrase de Gérard Larcher. Elle est tout à fait vraie. Dans ce contexte d’instabilité gouvernementale inédite sous la 5ème République, on voit à quel point c’est important d’avoir une Chambre qui s’inscrit dans la durée. C’est très important.

« Depuis que je suis élue, ce sera lundi mon 4ème gouvernement. Cela fait 1 an et 2 mois que je suis élue. 4 gouvernements. On ne peut pas travailler comme cela. Je dirais que si l’on ne peut pas reprocher aux partis d’avoir pour objectif de gagner des élections. Parce que c’est cela leurs définitions. C’est cela un parti politique. Le but d’un parti, c’est la conquête du pouvoir pour faire passer son programme. Ce qui est sa 2ème mission. La structuration du débat public, la définition de programme. Sa 3ème mission c’est la sélection du personnel politique. Je vois une faillite des 2ème et 3ème niveau, qui sont sacrifiés pour le 1er. Mais dans quel but ?

« Parce que le programme commun, écrit en 4 jours, j’exagère à peine, cet été de la gauche, ce n’est pas un vrai programme. Ce n’est pas sérieux. Ils ont réussi à faire des compromis entre eux mais cela ne veut pas dire que c’est applicable.

« L’extrême droite n’a pas de programme. On a bien vu sur la question des retraites, au fur et à mesure de la campagne législative, il renonçait à toutes les promesses complétement démagos qu’il avait fait jusque-là. Le RN n’a pas de programme.

« Je ne vais pas me faire des copains mais je vois bien que les LR n’ont pas de programme non plus et essayent de se rapprocher des inquiétudes agitées par le RN. C’est au point que sur certains textes, ici, je ne vois pas la différence entre les amendements déposés par les uns et par les autres. C’est une petite partie des LR. Il y a des LR modérés mais on ne les entend pas.

« Il reste le bloc central, qui n’est un bloc que de nom. Je ne sais pas ce qu’est le programme d’Ensemble pour la République.

« Il n’y a plus de programme. On cherche les noms. On voit bien que les partis s’organisent pour permettre la promotion d’une personne. Ce n’est pas cela la sélection du personnel politique. Ce n’est pas cela que cela veut dire. Donc il y a une faillite des partis. Et pif ! On revient sous la 4ème République. Sauf que l’on n’a pas de Général De Gaulle.

« Il va donc falloir toucher un peu plus le fond pour que quelqu’un émerge et réussisse à faire une synthèse. On a rarement vu la France aussi clivée entre des positions aussi irréconciliables.

« La détestation du personnel politique qui en résulte, qui est totalement infondé, parce que l’ensemble du personnel politique désapprouve ce qu’il se passe. Et l’on travaille beaucoup. Moi, je suis dégouté. Cela fait 2 mois que l’on est sur le Budget 2025. La semaine prochaine, j’avais le budget solidarité où je devais pouvoir porter les recommandations du rapport sur les femmes à la rue que l’on a fait avec la délégation des droits des femmes. Le lendemain, il y avait le budget affaires étrangères où j’allais pouvoir défendre des axes pour les Français de l’étranger. Concrètement, c’est le temps le plus important de la vie parlementaire le Budget. Il y avait un autre budget qui m’est cher sur contrôle et conseil de l’action du gouvernement. Bref, il y avait plein de choses.

« On était en plein travail et d’un coup, pif ! On arrête tout, pour voter une loi spéciale dont on a découvert l’existence il y a 3 jours. On devient tous des experts sur des choses dont on n’a jamais entendu parler. On a l’impression que cela va être plus un remaniement qu’un nouveau gouvernement en fait. On change de Premier ministre mais on en remet d’autres à l’intérieur qui était déjà là. C’est un remaniement cela. Tout cela pourquoi ? Pour attendre juin et une nouvelle dissolution. Cela n’a pas de sens.

« La seule différence c’est que les gens qui ont accepté de faire un barrage républicain en juin dernier, refuseront de le faire en juillet prochain. On va se retrouver avec 300 députés RN. Cela leur permettra peut-être de perdre la présidentielle mais cela en dit long tout de même sur l’incapacité des modérés à travailler ensemble. Il y a un moment, on n’est pas là juste pour gagner des élections. Une fois que l’on a gagné, on a gagné des sièges qui nous permettent de faire quelque chose. Il y a un moment, ce qui doit nous préoccuper, c’est le Budget !

« Voilà ! Je ne suis pas contente ! »

Quel rapport avez-vous avec les réseaux sociaux ?

« Je suis sur LinkedIn parce que c’est un réseau professionnel. Cela évite les photos des enfants et des petits chats. En principe, de ce que j’ai compris, cela évite les commentaires d’insultes, les trolls, tout cela. Je n’en veux pas.

« Je trouve normal de tenir au courant, globalement, de ce que je fais. Dans la réalité, je préfère travailler que de faire de la communication. Lorsque l’on travaille beaucoup, on n’a pas le temps de faire de la communication. Ce n’est pas vrai. On ne peut pas tout faire.

« Je ne communique peut-être pas assez mais je préfère avoir une élue qui m’explique la situation au Liban que de faire un post sur X ou Facebook.

« Les réseaux sociaux je trouve que cela appauvrit également la pensée politique parce que lorsque l’on doit résumer quelque chose de compliqué en 3 lignes, nécessairement cela s’simplifie un tout petit peu trop le débat. Cela cède à l’immédiateté, encore une fois.

« Je suis au Sénat et je suis convaincu de la nécessité d’une réflexion au temps long. Il faut savoir être réactif. On a montré que l’on savait le faire pendant le Covid-19. On a adopté la loi en 3 jours. On sait être réactif. Mais cela n’empêche pas de prendre un temps de recul et de chercher des solutions qui ne sont jamais simple. Il n’y a pas de solutions simples sinon on les aurait utilisées.

« Je n’aime pas les réseaux sociaux. »

 

***

Merci à M. Gadenne pour son aide précieuse à la réalisation de l’entretien.

Merci à Mme la sénatrice pour sa participation et sa confiance.

Publié par RomainBGB

Franco-sicilien né en Helvetie. Co-auteur de l'ouvrage "Dans l'ombre des Présidents" paru en mars 2016 aux éditions Fayard.

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