M. Moustache.
Chers Lecteurs,
Après avoir arpenté les couloirs de la République la semaine passée, je vous propose de partir à la découverte d’une nouvelle personnalité avant une petite pause estivale
Notre nouvel interrogé nous le fera bien comprendre : il n’aime pas les plans de carrière tout tracé. Ceci se vérifiera très vite, à la vue de son parcours professionnel quelque peu atypique.
Sciences-Po et Droit. C’est par la rue Saint-Guillaume que notre interrogé poursuivra ses études en menant de front une Licence de Droit à la Sorbonne. Ceci lui permettant de réaliser le rêve enfantin qu’il s’était fixé : « faire l’ENA ».
ENA. Même si l’on voit un certain recul et une certaine déception une fois arrivé dans cette noble institution, notre interrogé tiendra le bon bout. Il en finira 3ème du classement de sa promotion et accèdera ainsi aux portes du Conseil d’État.
Conseil d’État. C’est durant cette période que notre interrogé pourra acquérir ses connaissances et assimiler au mieux les rouages du contentieux administratif. Chose qui lui servira dans la suite de sa carrière, lorsqu’il fera un changement de cap au début des années ’90.
Cabinets ministériels. Son engagement à Gauche lui permettra de fréquenter les arcanes du pouvoir avec l’arrivée de M. Mitterrand à la présidence de la République. Ce sera sous l’égide de M. Defferre que notre interrogé pourra s’épanouir au sein des Cabinets ministériels en devenant tour à tour conseiller technique puis Directeur de Cabinet.
Michel Rocard. La philosophie commune qu’il partage avec l’illustre Premier ministre amènera notre interrogé à rejoindre son équipe de campagne en vue de la présidentielle de 1988. Même si la chose n’ira pas au bout, notre interrogé gardera son ancrage rocardien jusqu’au bout, pour continuer à diffuser cette pensée aujourd’hui encore.
Outre-mer. Michel Rocard devient le Premier ministre de François Mitterrand. En arrivant à Matignon, il accède aussi à la requête de notre interrogé : « enrichir son expérience et être directeur d’une administration. » Ce sera chose faite en étant nommé directeur des Affaires politiques, administratives et financières de l’Outre-mer au ministère des Départements et Territoires d’Outre-mer.
Avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation. Puisqu’un plan de carrière n’est toujours pas d’actualité, notre interrogé se décide à quitter l’administration pour entrer dans celle de la profession libérale. Suite à la demande de M. Lyon-Caen, il rejoindra le Cabinet d’Avocats de ce dernier et devient ainsi Avocat auprès du Conseil d’État et de la Cour de Cassation. Fonction qu’il occupe toujours aujourd’hui, d’ailleurs.
Football. Dans cette même période des années ’90, une nouvelle expérience professionnelle s’ouvre à lui : celle du Football. C’est ainsi qu’à la demande du président de la Fédération Française de Football de l’époque, M. Fournet-Fayard, il rejoint le Conseil Fédéral de la Fédération pour apporter son regard juridique au sein de l’Institution.
Ligue de Football professionnel. Sur la base d’un programme, voilà notre interrogé se présenter dans une nouvelle expérience professionnelle : celle de devenir président de la Ligue de Football professionnelle. Ce sera chose faite avec son élection en 2002 et ceux durant 14 années, avant de passer la main en 2016.
Futsal. « Foot un jour, Foot toujours ! » Ce n’est pas parce qu’il n’est plus président de la Ligue, qu’il ne s’intéresse plus au Football. Ce sera dans le Futsal que notre interrogé continue d’enrichir ses connaissances en devenant le dirigeant du Club de Garges Djibson Fustal en 2020.
Je vous laisse découvrir le portrait de Monsieur Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation.
Dans le cadre pandémique que nous connaissons, la réalisation de ce portrait a été réalisé, dans les conditions sanitaires requises, dans un café parisien, le 4 août 2021.
Bonne lecture !
@romainbgb – 10/08/21
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Biographie Express de M. Frédéric Thiriez :
*1952 : naissance à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
*1970-1972 : lauréat de l’Institut d’Études Politiques de Paris.
*1973 : Licencié en Droit à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne.
*1974-1977 : promotion André-Malraux de l’École Nationale d’Administration.
*1974-1988 : membre du Parti Socialiste.
*1975 : service militaire comme aspirant au 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine [le régiment de Marcel Bigeard].
*1977 : entre au Conseil d’État.
*1981-1982 : conseiller technique du ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, M. Defferre, en charge de la police.
*1982-1984 : directeur de cabinet du secrétaire d’État chargé de la Sécurité publique, M. Franceschi.
*1984-1986 : directeur de cabinet du ministre chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire, M. Defferre.
*1986-1988 : secrétaire général du cabinet de M. Rocard.
*1988-1990 : directeur des Affaires politiques, administratives et financières de l’Outre-mer au ministère des départements et territoires d’outre-mer.
*1990 : quitte l’Administration en devenant Avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation au sein du Cabinet Lyon-Caen.
-nommé chevalier de l’Ordre national du Mérite.
*1991 : défend la FFF dans un litige face à l’ancien président des Girondins de Bordeaux, M. Baez.
*1992-1995 : membre du Conseil Fédéral de la Fédération Française de Football.
*1995-2016 : administrateur de la Ligue de Football professionnelle.
*2002-2016 : président de la Ligue de Football professionnelle.
*2003 : nommé chevalier de l’ordre national de la Légion d’Honneur.
*2009 : nommé membre du Conseil de l’ordre des avocats aux conseils.
*2011 : promu Officier de l’ordre national du Mérite.
*2013 : auteur de Le foot mérite mieux que ça, parut aux éditions Cherche Midi.
*2016 : auteur du Dictionnaire amoureux de la montagne parut aux éditions Plon.
*2017 : auteur de Marc Batard, fils de l’Everest aux éditions First.
*2020 : dirigeant du Club de Garges Djibson Futsal.
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A quoi rêve le petit Frédéric quand il est enfant ?
« Faire l’ENA.
« Ce n’est pas lorsque j’étais petit enfant mais quand je suis arrivé en classe de 3ème, que je me suis décidé à vouloir faire l’ENA. J’étais passionné par tout ce qui concerne l’organisation administrative et territoriale. Je m’amusais même à redessiner la carte administrative de la France. [Rires]
« Je ne suis pas du tout issu d’un milieu de la fonction publique. Mon père était pédiatre. Ma mère était chanteuse, auteur-compositeur de variété. Un jour mon père me met sous les yeux une revue où il y avait dedans un article sur l’ENA. Je l’ai lu et me suis dit : « je vais faire l’ENA ! » C’est une vocation précoce. Les gens disent que c’est difficile.
« J’ai toujours dit à mes élèves, que ce soit à Sciences-Po ou à l’ENA, que je n’avais aucun mérite à avoir réussi les concours. Je suis quand même d’une famille très privilégiée. J’ai eu toutes les bonnes conditions pour bien travailler et réussir.
« J’admire beaucoup plus ceux issues de milieux modestes arrivent à passer des concours. Je m’y suis battu pour cela, notamment dans mon rapport pour le président de la République. C’est ce que l’on appelle le concours talents ; les classes préparatoires spéciales talents. Ces jeunes-là, vraiment je les admire. En opposition à moi qui n’ai pas de mérite.
« J’ai été politisé très tôt, à 16 ans j’ai adhéré au PSU, vous voyez. C’était en Mai ’68. [Rires] Comme par hasard. »
Que retenez-vous de vos années sur les bancs de Sciences-Po et de la Sorbonne ?
« Sciences-Po, absolument formidable. J’ai adoré. Ceci en termes d’ouverture d’esprit, d’apprentissage des techniques, d’expression écrite ou orale. Ce n’est pas le contenu, c’est la forme : l’expression écrite, la dissertation, l’expression orale avec l’exposé en 10 minutes, deux parties, deux sous-parties.
« La Fac de Droit, j’en n’ai moins de souvenirs comme je faisais les deux en parallèle. C’était assez dur. Je faisais Sciences-Po et la Licence en Droit en même temps. Je m’arrangeais pour avoir des TD à la Fac le soir. Je n’ai pas été vraiment intégré à la collectivité de la Fac. Je faisais cela en plus.
« Sciences-Po j’ai tellement adoré que lorsque je suis sorti j’y suis devenu assistant puis ensuite maitre de conférences. Par contre, je vous le dis tout de suite, l’ENA, j’ai détesté ! »
Quel souvenir gardez-vous de vos études à l’ENA ?
« À l’époque, c’était 2 ans ½ l’ENA. Je dois avouer que l’année de stage, c’était formidable. Il faut dire que j’avais choisi quelque chose d’assez originale. Il faut que je vous raconte l’histoire.
« Le directeur des stages me reçoit, comme il reçoit tout le monde, au moment du choix des stages. Il me dit : « Thiriez, vous êtes parachutiste ? » Je lui réponds que « Oui » – « Bon, je vous propose un deal. Si vous acceptez d’aller à la préfecture de la Guyane, je vous donne ce que vous voulez comme petit stage en mairie. » Je lui réponds de suite qu’il n’a rien à me proposer en retour ; « Je pars tout de suite en Guyane, ça me plait ! Cela m’intéresse. »
« Neuf mois en Guyane dans cette petite préfecture. Un pays extraordinaire dont je suis tombé amoureux. J’y suis retourné souvent d’ailleurs. J’ai adoré le stage en préfecture.
« J’ai ensuite effectué un stage en mairie, à Montpellier. J’aimais beaucoup aussi. C’est une année extraordinaire, l’année de stage. C’est là où l’on apprend.
« Par contre les 18 mois qui suivent, c’est une horreur. On n’y apprend rien. Ce ne sont que des épreuves de classements. C’est la compétition à mort entre les élèves, qui se font des coups tordus les uns aux autres. Ce n’est pas une école de formation. Là, je parle de l’ENA de mon époque. Cela a changé depuis, quand même. J’en suis sorti en 1977.
« Ce n’était pas une école de formation mais uniquement un instrument de classements. Uniquement. Heureusement, je me suis organisé pour travailler en n’allant jamais à l’École, quasiment. Ceci pour ne pas être contaminé par l’ambiance épouvantable. Je travaillais avec mon binôme, qui s’appelle Gilles Johanet, qui lui est sorti à la Cour des Comptes et qui a fini procureur général de la Cour des Comptes. Un type formidable, c’est mon ami. On travaillait chez lui, tous les deux, comme des malades. [Rires] Ce qui a fait que l’on est bien sorti au sein de la promotion. Lui, à la Cour des Comptes. Moi, au Conseil d’État. J’étais 3ème et lui devait être 5 ou 6ème, je crois. C’est en travaillant tous les deux, en dehors de l’École, à mon avis, que l’on a réussi. »
Comment avez-vous vécu vos années au Conseil d’État ?
« J’y ai passé 4 ans. J’ai fait les quatre années réglementaires. D’abord comme petit rapporteur, c’est-à-dire apprendre, faire le boulot. J’ai eu beaucoup de chance car je suis arrivé dans une Chambre, présidé par un homme fabuleux qui s’appelait Jean Kahn. Il m’a tout appris. Il y avait Bruno Genevois, qui était commissaire du gouvernement. C’était un peu le puits de sciences du Conseil d’État.
« C’est une très belle maison le Conseil d’État. J’y ai passé quatre années extraordinaires à faire du contentieux administratif. Tous d’abord, un apprentissage du contentieux administratif puis j’ai aussi appris aussi à rédiger les textes (lois, décrets). C’est un apprentissage sur le tas. J’en garde de très bons souvenirs. »
Quels souvenirs gardez-vous de vos passages en cabinets ministériels auprès de MM. Defferre et Franceschi ?
« Au bout de mes 4 ans, on tombe aux élections de mai 1981. Du fait de mon engagement à gauche, tout de suite on m’a affecté en Cabinet ministériel.
« Un dimanche, avant même qu’il soit nommé, je reçois un coup de fil à la maison : « Allô, Thiriez ? C’est Gaston Defferre à l’appareil ! Vous venez me voir à l’Assemblée nationale tout de suite ! » [Rire] Je me pointe à l’Assemblée où je suis reçu par Gaston Defferre. Il y avait Michel Charasse. C’est là où Gaston Defferre me dit : « Thiriez, je vais vous prendre dans mon Cabinet. Vous allez vous occupez de la Police. » Je n’y connaissais rien. Cela s’est passé comme cela.
« C’était fabuleux. En plus, il faut se souvenir que l’on a vécu la période des attentats en 1982-1983. C’était quand même chaud ! La rue des Rosiers ; la rue Marbeuf. On était en pleine lutte contre le terrorisme.
« Ce qui s’est passé ensuite, c’est qu’en 1982, au moment des attentats, François Mitterrand a pris peur ; alors qu’il ne s’y intéressait pas du tout et laissait faire Gaston Defferre. Il a eu l’idée, qui s’est révélée très mauvaise, de nommer un secrétaire d’État à la Police, qu’était Joseph Franceschi. Un secrétaire d’État auprès de Gaston Defferre. Ce à quoi Gaston Defferre avait juste exigé que je sois le directeur de Cabinet de Joseph Franceschi, tout en restant au Cabinet du ministre, pour faire le lien entre les deux et éviter qu’il n’y ait des divergences entre le ministre et le secrétaire d’État. J’ai fait cela.
« C’était absolument passionnant. J’étais vraiment dans l’opérationnel. Pour vous donner un exemple, on avait créé le Bureau de Liaison Anti-Terroriste, le BLAT. C’était une réunion que je présidais tous les jours, où je réunissais tous les chefs des services de renseignements, tous. On y faisait à chaque fois le point sur tous les dossiers anti-terroristes en cours. C’était une époque vraiment passionnante.
« J’étais tellement impliqué d’ailleurs que j’avais dans mon bureau les fréquences Polices. J’écoutais les fréquences Polices en permanence, en bruit de fond. Dès qu’il y avait quelque chose, j’étais au courant. Le soir, pour mieux connaitre le fonctionnement des services, je passais souvent ma nuit, avec tel ou tel service. Je me souviens d’y avoir fait des planques incroyables.
« Je me souviens d’une filature avec Robert Broussard qui m’avait emmené sur une filature. Pour Robert Broussard, il faut que je vous explique. C’était le contrepoids que l’on avait inventé au Commandant Prouteau. François Mitterrand se méfiait de la Police. Les Gendarmes, pour lui, c’était génial. Au moment de la crise anti-terroriste de 1982, François Mitterrand s’est dit qu’il allait nommer une cellule anti-terroriste à l’Élysée. Il y a nommé le Commandant du GIGN, qui s’appelait Christian Prouteau, Chef de l’anti-terrorisme. Inutile de vous dire que chez les Flics, cela a été un choc ! Ils ont compris cela comme étant un désaveu, une provocation. Ce à quoi j’ai suggéré à Gaston Defferre, de prendre pour le ministère de l’Intérieur, Robert Broussard, qui était vraiment LE superflic. On a donc pris Robert Broussard au Cabinet du secrétaire d’État. Je travaillais avec lui dans mon équipe.
« Pour cette filature en question, c’est là où l’on voit que la réalité dépasse la fiction. 40 voitures engagées dans la filoche. 40 voitures ! Je me souviens on avait pris l’autoroute du Sud. J’étais dans le command car avec Robert Broussard. Il fallait en mettre à toutes les sorties d’autoroutes parce qu’on ne savait pas où le mec allait sortir. Ce n’était pas du tout pour de l’anti-terrorisme. C’était juste pour loger, comme on dit, un gros voyou. On l’a effectivement logé. Une fois cela accomplit, on est reparti. Fin de l’histoire. C’est mieux que dans les romans policiers. J’ai été passionné par cela. Je m’y suis fait des amis dans la Police, que j’ai toujours d’ailleurs. Tout cela créé des amitiés très fortes. »
Comment s’est passé votre expérience au sein de l’équipe de M. Rocard ?
« C’est tout simple. En 1986, la gauche perd les élections. À ce moment-là je reçois un appel téléphonique. Je ne sais plus si c’est de Michel Rocard, lui-même, ou si c’est de Jean-Paul Huchon, qui était son directeur de Cabinet. On me dit : « Voilà, Rocard va se présenter aux présidentielles de 1988. Est-ce que tu veux être son directeur de campagne ? » Évidemment ! Rocard, c’est mon appartenance idéologique.
« Je me suis retrouvé dans la permanence de Michel Rocard, Boulevard Saint-Germain, à animer son dispositif de campagne. Ceci jusqu’à ce qu’il renonce à se présenter parce que François Mitterrand s’était représenté. J’ai vu de près comment fonctionne une campagne.
« J’adorai cet homme, franchement, Michel Rocard. Pour moi, il aurait été un très grand président de la République. Pourquoi ? Parce qu’il aurait laissé faire son gouvernement et lui se serait concentré sur les affaires stratégiques. C’est-à-dire les relations internationales, où là il avait un carnet d’adresses inouïe. Il connaissait tous les Chefs d’États et de gouvernements dans le Monde. Il avait déjà une vision sur l’avenir, en particulier sur les questions de climat. Il est l’un des premiers à avoir parlé du problème de l’eau, des pôles etc… Ce qui m’est resté d’ailleurs.
« Là-dessus, Michel Rocard renonce à ma grande déception. Je pense que la République y a beaucoup perdu. Cela va tomber à peu près à ce moment-là, où je quitte le PS. J’étais vraiment très déçu que Michel Rocard n’aille pas au bout. J’ai quitté le PS dans ces années-là. Enfin quitter … Je n’ai pas renouvelé mon adhésion.
« En 1988, François Mitterrand est réélu. Michel Rocard devient Premier ministre. À ce moment-là, Michel Rocard me dit : « Frédéric, est-ce que vous voudriez venir à mon Cabinet, à Matignon ? » Je lui dis : « Honnêtement, Monsieur le Premier ministre, j’ai fait beaucoup de Cabinet dans ma vie. J’aimerai enrichir mon expérience et être directeur d’une administration. » Il m’a dit : « Bon, je m’en occupe. » Premier Conseil des ministres, je découvre que je suis nommé directeur des Affaires politiques, administratives et financières de l’Outre-mer. C’est pour cela que c’était un type génial. »
Comment avez-vous vécu votre expérience de directeur des Affaires politiques, administratives et financières de l’Outre-mer ?
« Il faut se rappeler le contexte. On était en pleine guerre en Nouvelle-Calédonie. C’était quelque chose d’explosif. La mission Christian Blanc, je ne sais pas si vous vous en rappelez, qui avait été là-bas. Michel Rocard a réussi à faire la paix en Nouvelle-Calédonie.
« J’y ai passé deux années comme directeur. D’abord, j’ai beaucoup appris en ce qui concerne le management et la conduite d’une administration. J’avais quand même 250 fonctionnaires à la direction des Affaires politiques. Je suis allé absolument partout outre-mer dans tous les départements et territoires. Y compris en Antarctique, où aucun directeur n’avait jamais été.
« Pourquoi j’y suis allé ? Parce qu’un jour les Allemands nous ont appelés en nous disant : « On aimerait mener avec vous une expédition en Antarctique, en application du Traité sur l’Antarctique. » En deux mots, l’Antarctique est régi par un Traité de 1959 qui en fait un continent de paix, consacré à la recherche et à l’environnement. Tous les pays intéressés par l’Antarctique renoncent provisoirement à leurs revendications territoriales, en s’engageant à ce que cela reste un continent de paix. En application de ce Traité, tous les pays ont le droit à tout moment de faire des expéditions pour vérifier qu’il n’y a aucune activité militaire dans les bases de recherches sur le continent Antarctique ; que l’on y respecte l’environnement etc… Les Allemands voulaient faire une expédition.
« Je me suis dit que c’était génial. C’était donc une expédition franco-allemande. Cela a duré un mois. J’y ai donc passé un mois à bord d’un brise-glace avec mes collègues allemands, avec des scientifiques français et allemands. On a fait le tour des bases de la péninsule antarctique. On a fait un beau rapport pour s’assurer qu’il n’y avait aucune activité suspecte. De là est venu ma passion pour les Pôles qui m’a d’ailleurs amené à écrire ce roman [NDLR : 73° Nord, éd. Cent Mille Milliards]. C’était une très belle expérience. »
En 1990 vous quittez l’administration et devenez avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation. Un besoin de changement ?
« Il faut que je vous dise pourquoi. Dans ma vie, je n’ai jamais fait de plan de carrière. Jamais. Tout ce qui m’est arrivé, m’est toujours arrivé un peu par le hasard, les circonstances, que j’ai su peut-être saisir à un moment donné. En tous les cas je n’ai jamais fait de plan de carrière. Je déteste les mecs qui font un plan de carrière.
« En 1990, il y a Arnaud Lyon-Caen, qui était pour moi le plus grand avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, qui demande à me voir avec son associée. Il me dit : « Voilà, Monsieur Thiriez. J’ai un associé qui est décédé. Est-ce que vous souhaiteriez le remplacer pour tous ce qui est droit public ? » Je lui dis : « Mais non. Je suis haut fonctionnaire. Je ne suis pas du tout avocat. Ce n’est pas mon truc. » Il me dit : « D’accord mais réfléchissez-y. » Au bout de 6 mois j’ai dit « oui », parce que je voulais tenter un nouveau challenge en fait.
« J’avais fait 15 ans dans l’administration. J’avais l’impression d’avoir un peu tout fait, avec des choses fantastiques, vraiment. J’avais 40 ans à ce moment-là. C’est peut-être la crise de la quarantaine. [Rires] Je pense que cela doit être ça. D’ailleurs, c’est la même année où j’ai divorcé pour me remarier. Crise de la quarantaine, tu deviens avocat. Aller ! J’ai lâché le statut protecteur de la fonction publique pour le risque de la profession libérale, qui est d’ailleurs un vrai risque. On l’a vu cette année avec la Covid-19.
« Pourquoi j’ai fait ce choix ? D’abord pour la liberté. C’est-à-dire de ne pas avoir d’autorité au-dessus de soi. C’est quelque chose de quand même appréciable. Surtout aussi, cela va surement vous faire rigoler, c’est parce qu’il n’y a pas de limite d’âge. Parce que c’est une catastrophe cette limite d’âge. Je vois tous mes amis de la promotion de l’ENA, qui atteignent mon âge aujourd’hui, ils sont tous mit à la retraite d’office. Je les vois les pauvres ; le lendemain, ils ont pris 10 ans. [Rires] C’est affreux ! Ce qui a joué beaucoup pour moi. En tant qu’avocat je n’ai pas de limite d’âge. Je pourrai travailler jusqu’à la mort.
« Je ne regrette pas. C’est un super métier. On est une espèce d’avocat qui fait du droit. Il n’y en a pas tellement finalement. Je reviens un peu à mes premières amours c’est-à-dire le Conseil d’État, en fait. La boucle est bouclée. [Rires] »
En 1992 vous débutez une autre nouvelle aventure, celle du Football. Comment cela s’est-il produit ?
« C’est tout simple, encore une fois. Comme je vous le disait, pas de plan de carrière. Ce sont les évènements, les circonstances. Mon Cabinet, celui dans lequel je venais de rentrer, était celui de la Fédération Française de Football, depuis toujours. À ce moment-là, il y a un gros contentieux, qui fait très peur à la Fédération, qui est le contentieux de la rétrogradation des Girondins de Bordeaux. L’affaire vient au Conseil d’État. Je plaide devant une formation solennelle. C’était une grosse affaire. Contre toute prévision : je gagne.
« À ce moment-là, le président de la Fédération, qui s’appelait Jean Fournet-Fayard, m’explique que le football devenait de plus en plus juridique. « On n’y comprend rien. Il nous faut un juriste. Il faut que vous entriez à la Fédération. » Je me dis avec plaisir, pour moi le bénévolat a toujours été mon truc. Je rentre dans la commission de discipline de la Fédération. Puis, petit à petit, ils trouvaient peut-être que je n’étais pas inutile. Ils m’ont fait élire au Conseil Fédéral. C’est un peu le gouvernement du Football. Tout ceci se passe en 1992.
« En 1995, précisément, Noël Le Graët, président de la Ligue de Football professionnelle, me dit : « Oui, Thiriez, vous êtes à la Fédé, c’est très bien, mais j’ai besoin de vous à la Ligue. » Je lui dis que : « Je veux bien, Monsieur le président mais je veux aussi, par fidélité, rester à la Fédération parce que c’est mon engagement initial. » Pas de problème. Il me fait élire au conseil d’administration de la Ligue de Football professionnelle. Je reste en même temps au Conseil Fédéral de la Fédération. Le président de l’époque, qui s’appelait Claude Simonet, voulait que je reste. J’ai fait les deux jusqu’en l’an 2000. Je vous la fait courte, mais il faut tout de même raconter les histoires.
« En l’an 2000, qu’est-ce qu’il se passe ? Il y a une sorte de putsch à la Ligue, des gros Clubs, c’est-à-dire Lyon, Monaco etc…, contre Noël Le Graët. Ils trouvaient que Le Graët était un communiste. [Rires] Je vous assure. C’est la vérité. Ils trouvaient que c’était un socialo-communiste. Putsch ! Le Graët est mis en minorité et obligé de démissionner. À ce moment-là, je me souviens encore dans la salle, je lui dis : « Noël, je suis solidaire de vous. On partage la même philosophie sur le football, sur la solidarité entre les Clubs etc… Je démissionne aussi. » Il me dit : « Surtout pas Frédéric. Il faut que vous restiez à la Ligue. Vous assurerez la continuité de notre philosophie. » Ce que je fais, finalement.
« Les gros Clubs élisent un président, Gérard Bourgoin, en l’an 2000. Un homme génial mais totalement bordélique. On s’est lié d’amitié à ce moment-là. Un mec adorable Gérard Bourgoin. Le Roi du poulet. C’était son surnom parce qu’il avait une entreprise de vente de poulets.
« Pour vous donner un exemple, la première décision qu’il veut prendre c’est de faire payer les radios pour les droits de retransmissions des matchs. Évidemment, ce n’est pas possible. Tu as une tradition qui est que les radios retransmettent les matchs gratos. Cela commençait donc assez mal. Cela a duré même pas 2 ans. Il s’est fait mettre en minorité, lui aussi. C’est à ce moment-là où j’ai été élu à tête de la Ligue de Football professionnelle. »
En 2002 vous devenez président de la Ligue de Football professionnelle. Comment avez-vous vécu ce moment ?
« C’était un très beau moment. Cela faisait presque 15 ans que j’étais dans le football. J’arrivais aux responsabilités. J’étais vraiment très heureux et je me disais qu’il y avait des choses à faire. À la différence des autres, j’avais été élu sur un programme. J’avais présenté un programme pour être élu.
« J’ai essayé de le mettre en œuvre et surtout, première chose, de pacifier les relations entre les Clubs. Le Football était extrêmement divisé entre les gros Clubs, les petits Clubs, les moyens Clubs. C’était vraiment le bazar. L’idée c’était de recréer une unité pour être plus fort vis-à-vis des diffuseurs télés, qui sont quand même nos clients, et des pouvoirs publics, pour faire passer les textes législatifs dont on avait besoin. C’est là où je pense que mon expérience un peu politique m’a beaucoup aidé, à faire voter des textes législatifs qu’il fallait.
« Je crois que comme je ne venais pas du milieu du foot, j’avais une espèce de crédit vis-à-vis des Clubs. Ils se disent, après tout, lui il ne va pas être maquer avec un club ; il va être impartial. J’ai beaucoup joué là-dessus, sur l’impartialité. Cela a été exceptionnel. J’ai passé 14 ans comme président. J’étais très heureux. »
Quel bilan gardez-vous de ces 14 années passées à la tête de la Ligue de Football professionnelle ?
« D’énormes satisfactions.
« Par exemple, j’ai triplé les droits télévisuels. Aujourd’hui… Bon… Vous voyez comme cela se passe. Ce n’est pas évident.
« J’ai beaucoup travaillé pour la sécurité dans les stades. Ce qui m’a valu pas mal d’ennemis, chez les Ultras.
« J’ai beaucoup joué aussi sur le Football en tant que média. C’est-à-dire sur le moyen de faire passer des messages de lutte contre la violence, contre le racisme, contre les violences faites aux femmes. Je m’en suis beaucoup servi de cela. Utiliser le Football comme vecteur pour faire passer des messages, je dirais à la société civile.
« Le monde du Foot, c’est un monde très particulier parce que c’est un monde où se mélange les enjeux économiques, qui sont important quand même, et la passion. Si vous mélangez la passion et les enjeux économiques, cela vous fait quelque chose d’explosif ! Le président de la Ligue c’est un peu, en permanence, l’arbitre. Il doit essayer d’arbitrer entre les intérêts divergents des Clubs. Les intérêts du Paris-Saint-Germain ne sont pas les mêmes que ceux d’En-Avant-Guingamp.
« Je me suis beaucoup impliqué sur l’arbitrage aussi. Il faut quand même que je le dise. La vidéo, c’est moi, par exemple. C’est moi qui le premier ait lancé l’idée de l’arbitrage vidéo. Je me suis fait jeter par la FIFA. Mais 10 ans après, comme je l’avais prédit, on y est arrivé ! J’ai beaucoup travaillé sur la professionnalisation de l’arbitrage. J’ai revalorisé beaucoup leurs rémunérations. Je leurs ai donné un statut quasi professionnel. Cela a été l’un de mes gros chantiers.
« Je précise que j’étais bénévole et donc que je ne touchais pas un centime de la Ligue. Je tiens à le dire parce qu’après moi, ce n’était plus le cas. Pourquoi je ne voulais pas être payé ? C’est tout simple. Comme le rôle du président de la Ligue c’est d’arbitrer souvent des conflits assez durs entre Clubs. Si je suis payé par la Ligue, c’est-à-dire par les Clubs. Ceux-là peuvent me dire : « He Ho toi ! Qui est-ce qui te paie ? C’est nous ! Donc tu fermes ta gueule ! » Alors cela, il n’en n’était pas question pour moi. En n’étant pas payé, je n’avais avec eux qu’un lien électif, démocratique. Et non pas un lien salarial, vous voyez. Pour moi, cela était essentiel. C’était la condition de ma liberté et de mon indépendance. Depuis je peux vous dire qu’ils sont payés. C’est dommage d’ailleurs. Je trouve que le bénévolat a des vertus.
« Il faut quand même que je vous dise pourquoi je suis parti de la Ligue. Cela faisait 14 ans. Je sentais que j’avais peut-être un peu de lassitude. Je me suis dit : « Tu n’as peut-être plus la niaque qu’il faut pour impulser des choses. Bon allez, il vaut mieux que tu t’arrêtes. Tu laisses la place aux jeunes. » Je n’ai pas fait comme les politiques qui s’accrochent à leurs postes. Un beau jour, je leur ai annoncé en Assemblée Générale. C’était la grosse surprise. Là, j’ai fait mon coup. Je leur ai dit : « Voilà Messieurs. Cela fait 14 ans que je fais le job. Vous allez élire un nouveau président auquel je souhaite bonne chance. » Et voilà ! J’ai arrêté.
« Cela m’a coûté comme décision mais je pense que c’était le mieux ; même dans leurs intérêts pour qu’ils élisent peut-être un président motivé, plus jeune. Ce qui a été le cas puisqu’ils ont élus d’abord une femme, Nathalie Boy de la Tour. Ensuite, Vincent Labrune, qui est quelqu’un de bien. Je ne parle pas des problèmes très lourds qu’ils ont en ce moment avec les droits télévisuels. D’ailleurs je leurs souhaite bonne chance. Il faut absolument régler cela, ce n’est pas possible. »
En 2020 vous devenez dirigeant du Club de Garges Djibson Futsal. Une nouvelle aventure pour vous ?
« Oui ! Pourquoi le Futsal ? Tout d’abord je voulais rester dans le Football. « Foot un jour, Foot toujours ! » Cela ne peut pas se terminer comme cela. Ce n’est pas parce que je ne suis plus président de la Ligue, que je ne m’intéresse plus au Football. Je reste passionné.
« Là, vous n’allez pas échapper à mon couplet sur le Futsal. Le Futsal, c’est l’avenir du Foot, pour moi. On a un retard incroyable en France. Vous savez combien on a de licenciés en Futsal ? Sur nos 2 millions de licenciés en Football, on a 30’000 licenciés en Futsal. En Espagne, il y a 1 million de licenciés en Futsal. Quand vous regardez un mec comme Neymar, ou comme Ben Yedder, qui vient de mon Club, Garges Djibson, en Banlieue. Ces mecs-là, ils ont tous commencé au Futsal. Cela vous fait des joueurs, en particulier des attaquants, mais pas que. Pas la peine de vous faire un dessin. Donc il faut absolument développer le Futsal.
« En plus, cerise sur le gâteau. Si j’étais une chaîne de télévision, moi j’investirais sur le Futsal. Pourquoi ? C’est un spectacle incroyable. C’est hyper rapide, hyper technique. Cela ne s’arrête jamais. Il n’y a pas d’arrêt de jeux, vous voyez. On joue tout le temps. C’est deux fois 20 minutes. C’est spectaculaire. C’est athlétique. Lorsque les mecs ils vont font des tacles glissés sur le parquet, c’est hallucinant ! Ils font des choses incroyables !
« Je pense que c’est un sport d’avenir, pour développer la pratique d’abord. C’est tout de même cela qu’il faut faire. 2 millions de licenciés en France, on est ridicule par rapport aux Anglais, aux Allemands. Les Allemands c’est 7 millions de licenciés, je crois. Les Anglais, c’est 8 millions. Nous sommes que 2 millions. Je pense que le Futsal peut amener des jeunes, beaucoup de jeunes, vers la pratique du Football. Et la double pratique. Pourquoi pas jouer Futsal – Foot herbe.
« Le président du Club est devenu un ami. Il s’appelle Moussa Nianghane. »
Parachutiste, alpiniste, acteur… Un véritable touche-à-tout notre M. Moustache !
« [Rires] C’est ce que me disent mes copains. Tout d’abord, ils me disent : « Mais comment tu fais, pour faire tout cela ?! » Puis, il y en a d’autre qui sont plus critique et qui me disent : « Tu fais trop de choses. Tu te disperses. Tu ne peux pas faire sérieusement toutes les choses. » À quoi je leurs dit : « Les gars, je ne peux pas faire autrement. Je suis comme ça. » J’essaye de m’analyser.
« La réponse, en fait, c’est que la vie est une chose absolument formidable. Il y a tellement de chose à faire. Le problème est que la vie est trop courte, mon vieux ! Vous, vous êtes jeune. Moi, plus j’avance en âge, plus je me rends compte que c’est affreux. La vie est trop courte pour faire tout ce qu’il faudrait faire. J’ai trouvé la manière d’allonger la vie, c’est d’avoir plusieurs vies en même temps. Ceci est l’explication rationnelle de ma soif de tout, de faire le maximum de choses possible, de prendre tout ce qu’il y a de bien dans la vie.
« De toutes les façons je ne peux pas faire autrement ; pour moi c’est la condition du bonheur. Je ne peux pas être l’homme d’une seule activité, vous voyez ? J’en connais. Mon associé, Arnaud Lyon-Caen, le grand avocat qui m’a recruté, lui, il n’avait qu’une seule vie. C’était son Cabinet d’avocats. Il ne faisait que cela. Il n’allait jamais au cinéma. Il n’allait jamais au théâtre. 7 jours sur 7 ; 24 sur 24 c’était le Cabinet, le droit etc… Pour ma part, je ne peux pas. J’ai besoin de faire des sports un peu à risque, des sports extrêmes. J’ai besoin de théâtre. J’ai besoin de chants. J’ai besoin d’alpinisme, de montagne. J’ai besoin de plongée. C’est ma façon d’allonger la vie. »
Comment vivez-vous cette pandémie qui nous entoure ?
« C’est une question très difficile car je ne veux pas avoir l’intention d’être à côté des réalités. Je suis extrêmement serein par rapport à cela. C’est bizarre. Je pense que s’il on applique un minimum de discipline collective, on va s’en sortir. Et on va s’en sortir vite.
« J’avoue que je suis stupéfait par le Mouvement des Antivax. C’est-à-dire cette espèce d’égoïsme ; le fait de cristallisation, de colères, qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. D’ailleurs, quand on regarde, il n’y a aucune revendication. C’est quoi leurs revendications ? On ne veut pas se vacciner ? Contre le passe sanitaire ? Là, je suis très sévère contre ce mouvement. Je trouve qu’ils ne sont pas adultes.
« Quand j’enseignais à Sciences-Po, je disais à mes élèves que la France n’était pas encore une République. En fait, je le pense encore. C’est-à-dire que les Français ont souvent une réaction de sujet et pas de citoyen. Des sujets qui se révoltent parfois contre le roi. On l’a vu avec les Gilets Jaunes. On le voit maintenant avec le Mouvement Antivax. Ce n’est pas responsable.
« Une démocratie moderne c’est une démocratie dans laquelle les citoyens participent au minimum à une discipline collective, à un effort collectif. Et nous, les Français, souvent ils n’ont pas ce réflex républicain. C’est chacun pour soi. Il serait temps que l’on grandisse, comme dirait OSS-117. « Faudrait peut-être grandir les gars ! » Il dit cela au Premier ministre d’Égypte dans Le Caire, nid d’espions. C’est exactement cela ! On a du progrès à faire, nous les Français.
« C’est pour cela que je resterais, et je demeure, rocardien. Michel Rocard avait fondamentalement cette philosophie en lui, qui venait je pense de l’Internationale Socialiste. C’est-à-dire, je pense, que l’on doit être des citoyens au sens plein du terme. Là, je suis d’accord. Je le reproche à nos dirigeants depuis très longtemps. Il faut associer les gens aux décisions et aux réformes. Michel Rocard disait souvent : « Il n’y a pas de réforme possible en France s’il n’y a pas de consensus. » Et bien cela se travaille le consensus. Qu’est-ce qu’il a fait en Nouvelle-Calédonie ? C’est exactement cela. Il a envoyé une mission, composée de toutes les Églises. Y compris les Francs-Maçons d’ailleurs. Ceci pour écouter les gens et arriver à une solution de consensus.
« Si on avait fait la même chose sur les grandes décisions pour la crise sanitaire, on n’en serait pas là où l’on en est aujourd’hui. Associer les gens. Participer aux décisions. Et tout ceci pas avec des gadgets, des choses à la Ségolène Royal… »
Quels rapports avez-vous avec les réseaux sociaux ?
« Aucun. Je déteste. [Rires]
« J’ai été un peu obligé d’en faire lorsque j’ai été candidat à la présidence de la Fédération Française de Football. J’avais confié cela à une amie qui s’occupait de tout cela pour moi. Franchement, lorsque j’ouvre Twitter, ce qui m’arrive que très rarement, je suis tellement dégouté que je ferme tout de suite.
« J’ai quand même fait un petit papier là-dessus. Je suis tellement dégouté de la haine qui se déploie sur Twitter que je ne souhaite pas y participer. J’ai d’ailleurs fait une Tribune pour la levée de l’anonymat sur Twitter. Je trouve que c’est invraisemblable. Je l’ai comparé avec la loi sur la Presse. Vous êtes bien placé pour le savoir. La Presse est libre en France, nom de Dieu ! On ne peut pas dire qu’elle n’est pas libre. Mais il y a des règles. Il n’y a pas d’anonymat dans la Presse. Vous signez votre papier et le directeur de la rédaction, il est responsable. Sur Twitter, non. On peut y écrire n’importe quoi et personne n’est responsable.
« L’affaire Mila, c’est un scandale ce qui lui est arrivé à cette jeune femme. C’est un scandale ! 100’000 messages de haines et de menaces de mort. Et on laisse faire… Bien sûr il y a eu une décision de justice…
« Aujourd’hui l’on estime qu’il y a 20% des jeunes qui sont victimes eux-mêmes d’harcèlement sur les réseaux sociaux. Eux, on en n’entend jamais parler. Il n’y a pas d’affaires judiciaires. Il n’y a pas de condamnations parce que les jeunes n’osent même pas protester. On détruit des gamins avec cette haine. Là, il faudrait légiférer. Même au plan international. L’anonymat sur Twitter, pour moi, c’est un non-sens. On devrait signer ce que l’on écrit. »
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Merci à Mme Carrère-Gée pour son aide précieuse.
Merci à M. Thiriez pour son écoute et sa bienveillance.