M. Gaspard Koenig

Sur les chemins.

Chers Lecteurs,

La fin de l’année civile continue sa course mais je maintiens le lien avec vous avec encore deux entretiens-portraits pour conclure 2021. J’espère que cela vous permettra de vous tenir en haleine d’ici janvier 2022 pour continuer d’écrire ensemble la suite de #LaLettreR.

Nous allons, une fois n’est pas coutume, prendre les chemins de traverse en allant voir du côté de la pensée.

Henri IV. L’ancien cloître parisien va servir de cadre de formation étudiante pour notre interrogé qui y passera son Baccalauréat et ses années d’Hypokhâgne/Khâgne.

Normale Sup’ Lyon. C’est au sein de cette école prestigieuse que notre interrogé continuera sa formation étudiante.

Agrégation de philosophie. Certain passe leur Bac d’abord, pour profiter de la vie. Pour notre interrogé, ce sera : « Passes ton agrég d’abord ! » Ce que notre personnalité fera avec l’agrégation de Philosophie obtenue en 2004.

Columbia. Les voyages et les échanges universitaires forment la jeunesse. C’est dans la mégalopole américaine que les belles rencontres vont voir le jour et les belles idées aussi !

Christine Lagarde. Notre nouvelle personnalité rejoindra son Cabinet en tant que plume, afin de rendre les mots plus simples, pour arriver aux oreilles des Français.

BERD. Une expérience dans une grande institution monétaire afin de se rendre compte d’un certain parcours de vie, aujourd’hui révolu pour notre nouvel interrogé.

3ème circonscription des Français de l’Étranger. Sous les couleurs du Parti Libéral Démocrate, notre interrogé prendra sa part dans cette élection pour faire murir ses idées.

GenerationLibre. C’est avec ce laboratoire d’idées que notre interrogé marquera son retour dans le débat public hexagonale avec son moteur libéral.

Simple. C’est sous les couleurs de la simplification, qu’en septembre notre interrogé lance son mouvement afin de prendre sa part, et celle du libéralisme, dans la campagne présidentielle de 2022.

Je vous laisse découvrir le portrait de Monsieur Gaspard Koenig, président de GenerationLibre, fondateur du mouvement Simple.

M. Gaspard Koenig – ©droits réservés.

Dans le cadre pandémique que nous connaissons, la réalisation de ce portrait a été réalisé, dans les conditions sanitaires requises, au sein du bureau de M. Koenig, le 13 décembre 2021.

 

Bonne lecture !

@romainbgb – 18/12/21

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Biographie Express de M. Gaspard Koenig :

*1982 : naissance à Paris.

*2000 : titulaire du Baccalauréat au Lycée Henri IV (Paris).

*2002-2006 : major de promotion de l’École Normale Supérieur de Lettres et Sciences Humaines.

*2004 : agrégé de philosophie.

publie Octave avait vingt ans, aux éditions Grasset – Prix Jean-Freustié.

*2004-2005 : échange universitaire à l’Université de Columbia (États-Unis).

*2006 : publie Un baiser à la russe, aux éditions Grasset.

*juin2006-juin2007 : chargé de TD à l’Université de Lille 3.

*juin2007-juin2009 : plume au Cabinet de la ministre de l’Économie, Mme Lagarde.

*2009 : publie Les discrètes vertus de la corruption, aux éditions Grasset.

*juin2009-jan.2013 : conseiller affaires institutionnelles à la BERD (Londres).

*2011 : publie Leçons de conduite, aux éditions Grasset.

*juin2012 : candidat aux élections législatives pour le Parti Libéral Démocrate pour la 3ème circonscription des Français de l’Étranger.

*2013 : publie La nuit de la faillite, aux éditions Grasset.

-publie Leçons sur la philosophie de Gilles Deleuze, aux éditions Ellipses.

*depuis 2013 : président du laboratoire d’idée GenerationLibre.

*2015 : -publie avec Marc de Basquiat Liber, un revenu de liberté pour tous, aux Éditions de l’onde.

-publie Le Révolutionnaire, l’Expert et le Geek, aux éditions Plon.

*depuis oct.2015 : maître de conférence à Sciences Po Paris.

*2016 : -Prix Zerilli-Marimo de l’Académie des sciences morales et politiques.

-Prix Turgot.

-publie Kidnapping, aux éditions Grasset.

-publie Les Aventuriers de la Liberté, aux éditions Plon.

*depuis sept.2016 : chroniqueur pour Les Échos.

*2017 : publie Time to Philo, aux éditions Larousse.

*2018 : publie Voyages d’un philosophe aux pays des libertés, aux éditions de l’Observatoire.

*2019 : publie La Fin de l’individu (Voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle), aux éditions de l’Observatoire.

*2020 : effectue un voyage à cheval sur les pas de Montaigne.

*2021 : publie L’Enfer, aux éditions de l’Observatoire.

*sept. 2021 : Lancement du mouvement Simple.

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À quoi rêvait le petit Gaspard lorsqu’il était enfant ?

« Lorsque j’étais tout petit, je voulais être conducteur de métro.

« Très rapidement, je n’ai pas eu d’autre rêve que celui d’écrire. D’ailleurs ce rêve-là, je l’ai finalement réalisé parce que depuis quelques années je vis de ma plume. Je n’ai plus besoin d’autres sources de revenus que mes livres et leurs produits dérivés. Il a fallu tout de même une bonne dizaine d’années pour en arriver là, en termes de revenus, pour en faire un métier. Ce qui me laisse une certaine liberté pour le reste parce que maintenant que j’ai cela, je fais le reste en plus.

« C’est pour cela que je suis assez serein et heureux dans ma vie. J’ai plein de projets et d’activités. Je ne ressens pas la frustration, un manque ou l’envie de reconnaissance. Je suis plutôt en forme d’ataraxie. Cela reste un projet entier. C’est-à-dire que si jamais ce que je fais en ce moment avec Simple échoue, je continue mon fil. J’ai au moins 3 projets de livres, sur lesquels j’ai plutôt hâte d’avancer. »

Quels souvenirs gardez-vous de vos années d’études à Henri IV et à Normal Sup ?

« À Henri IV, magnifique !  Ce sont les plus belles années de formation intellectuelle et de camaraderie de ma vie. Cela change complétement quand on arrive à l’école.

« À Henri IV, il y a vraiment des professeurs qui sont des personnalités invraisemblables et que les élèves, aussi, sont souvent des gens qui ont une vraie singularité intellectuelle. Il y en aura un, qui sera bibliophile depuis ses 8 ans, qui connait tout Mallarmé. L’autre, qui a une passion pour l’Histoire médiévale, qui veut faire Chartres depuis ses 13 ans. Les gens sont assez particuliers. Ce ne sont pas des forts en thème. Il y en a, évidemment.

« Il y a beaucoup de vie. Il y a beaucoup de créativité. Surtout ce qui est formidable, j’y ait découvert la Philosophie. J’étais arrivé en Scientifique et j’ai basculé en Littéraire, un peu par hasard. Je n’avais pas de passion philosophique préexistante. C’est une professeure, que j’ai eu 2 ans de suite, qui m’a fait découvrir. Ensuite, j’ai eu un professeur lui aussi atypique, qui était un communiste pur et dur, qui avait une discipline de vie monacale.

« Tout cela, ce sont des choses très surprenantes et très contrastées. C’est-à-dire qu’en Hypokhâgne/Khâgne, la créativité était récompensée. Plus on faisait des copies un peu folles, avec des choses originales, des plans biscornus, mieux c’était ! Ce qui m’a sans doute valu d’échouer une 1ère fois au Concours parce que j’avais été dans le même mode. La 2ème fois, on m’a dit de faire quelque chose de standard. C’est passé. J’ai été reçu 1er.

« En tous les cas, à Henri IV, vous n’êtes pas ratiboisé. Au contraire, l’on fait fleurir tout ce qui est en vous.

« Je me rappelle un peu de la jouissance qu’il y avait à découvrir les nouvelles bibliographies. En Khâgne, en Moderne les programmes sont toujours un peu les mêmes, pendant les 2 ans. La Révolution industrielle ou la France agricole au XIXème siècle. Ce qui est génial en Classique, c’est que c’est très varié. Tous les 3 mois, on change. On arrive sur l’Égypte ancienne, sur la vie. Et hop ! On repart sur un autre monde.

« À chaque fois que l’on commençait un nouvel auteur, en philosophie, c’était une nouvelle façon de voir le monde qui s’ouvrait. Pour ma part, je passe vite. Une fois que j’ai compris le système, cela ne m’intéresse pas de rentrer vraiment dans les détails, en fait. J’ai besoin de changer ensuite, de voir d’autres perspectives. Cela dépend des personnalités.

« La dernière chose c’est que cela apprend vraiment à écrire parce que l’on écrit tout le temps. C’est de la dissertation à haute dose. On ne peut plus avoir peur de la page blanche. Cela forme l’écriture. Cela forme la plume.

« Les plus belles années intellectuelles pour moi, à Henri IV. J’y ai passé 4 ans, de la Terminale à ma Khâgne. En plus, les lieux sont très beaux : un ancien cloître. Y compris dans le choix des écoles de mes enfants, je suis très attaché à l’esthétique des lieux. Je me demande s’il on apprend vraiment bien dans un lieu moche ? Même si les professeurs sont bons.

« Justement, Normale Sup Lyon, c’est tout l’inverse ! D’abord, c’est hyper moche ! Un bâtiment sans âme, au fond de Gerland, dans une zone quelconque. Et c’est là où les gens commencent à se professionnaliser. Ce sont des enjeux de métiers, de carrières. On se spécialise dans quel auteur ? On vise quelle Fac ? On trouve quel directeur de thèse ? Je trouve qu’il y a une chape de plomb. Tout ce qui était très jouissif devient au fond quelque chose de protocolaire.

« Par conséquent, je n’ai pas du tout aimé l’agrégation. Précisément parce que c’était beaucoup plus scolaire. Les gens avaient perdu ce goût, cette vivacité. On est en Khâgne. On fait tous cela pour le concours. Les gens pensent qu’ils ne l’auront pas donc on fait cela aussi pour le plaisir. Alors que là, l’agrégation… Il faut l’avoir pour gagner sa vie.

« On commence à voir des gens qui se spécialisent dans les auteurs, qui étudient les notes en bas de page. Je trouve que ce n’est plus de la philosophie mais de la philologie ; c’est de l’étude de texte. Il n’y a plus ce goût du débat qui nous animait en Prépa. Il n’y a plus de débat. Il n’y a plus de dialogue. C’était vraiment très contrasté pour moi comme expérience intellectuelle. Évidemment, Normale donne une grande liberté parce que l’on est payé sans faire grand-chose. On a le temps de faire d’autres choses. J’ai pu écrire des livres, voyager… C’était bien pour moi mais en termes de formation intellectuelle, cela n’a pas été la même chose.

« Pour l’agrégation, je ne me posais pas trop de question. C’était le cursus. J’ai fait ce que l’on m’a dit de faire. J’avais envie de boucler, de ne pas abandonner, de montrer que j’étais capable de cela. Je me rappelle très bien le jour où j’ai eu mon agrég. Je me suis dit : « ça y est ! Je l’ai ! Maintenant, je peux faire ce que je veux ! » C’est à partir de ce moment-là que cela a commencé à dérailler en m’éloignant du droit chemin académique. J’ai fait mes preuves. Mes parents m’ont toujours dit : « Tu peux écrire, tu peux faire tout ce que tu veux, mais fais tes preuves d’abord ! Montres que tu es capable de faire ce que l’on attend de toi. Une fois que tu auras cette formation-là, fais ce que tu veux ! » Ce que j’ai fait ! »

À 22 ans, vous êtes agrégé en Philosophie. Dans cette continuité vous partez en échange universitaire à Columbia. Quelle expérience tirez-vous de tout cela ?

« C’était l’année universitaire après l’agrégation. Cela a été une grande expérience de vie à New-York. C’est d’ailleurs là que j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme. Ce n’a pas été une grande expérience en tant que lecteur. Je n’ai pas beaucoup mis les pieds à Columbia, pour être franc. J’ai pu rencontrer une autre vie, d’autres gens. J’ai profité de cette année-là pour tout faire sauf travailler.

« J’ai quand même fait un peu de philosophie analytique à Columbia. Cela ne m’a pas plu du tout. C’est tout de même ce que les Américains font de plus spécifique chez eux. Ce sont ces cours où il faut décomposer ces phrases en valeurs de vérité, de mettre des points derrière les mots, faire des équations pour trouver qui a raison… Je trouve que la philosophie analytique c’est à la fois ennuyant et faux. Cela joue sur les deux tableaux.

« Ce qui m’a permis de me définir comme philosophe français. C’est-à-dire qui aime la création de concept, le style. Avec de bonnes raisons pour cela : ce n’est pas parce que c’est poétisant. C’est parce que je trouve cela plus authentique. Je pense que la vérité n’est pas une conclusion logique. Je ne pense pas du tout que la philosophie soit, pour le coup, une Science Humaine. J’ai toujours détesté ces papiers de recherches. Ce n’est pas vrai ! Non ! C’est une déambulation ; un vagabondage intellectuel. Il faut l’assumer comme tel. C’est très continental.

« Deuxièmement, c’est aussi là où j’ai découvert, à l’occasion d’un cours sur la philosophie continentale qui n’avait rien d’extraordinaire en lui-même, la tradition libérale française. On me l’avait un peu caché, si je puis dire.  C’est là où j’ai lu Tocqueville, Jean-François Revel. C’est là où j’ai commencé à lire The Economist. C’est là où j’ai commencé à faire un mémoire sur Condillac. J’avais fait mon agrégation sur Locke pour autant je n’avais jamais perçu que Locke était libéral !

« On travaille sur les idées innées et acquises, sur la philosophie du contrat, sur tout cela. Locke est enseigné. Tocqueville est enseigné. Mais le fil qui mène de l’un à l’autre n’est pas enseigné. Le libéralisme comme histoire des idées n’est pas enseigné ; n’est plus enseigné en tous les cas. Personnellement, je ne l’ai jamais entendu. Évidemment tous les autres, on en a des louchées. Les pointillés qui relient ces auteurs et qui forment une tradition intellectuelle, je les aie découvert aux États-Unis. Ce qui m’a permis de faire mon chemin et de me dire qu’en fait c’est cela qui me convient ! J’étais plutôt nietzschéen, plutôt fou fou individualiste, sans vraiment de système politique derrière. Tout de suite j’ai compris que cela me correspondait.

« S’il on prend un individu à ses libertés, le libéralisme tout de suite fournit un certain nombre de solutions sur comment mettre tout cela en musique socialement. Ensuite, il y a mille familles et sous-familles là-dedans. Je m’y suis retrouvé tout de suite et me suis dit que c’est cela qui me convient. Ils m’ont fourni la petite chose qui me manquait pour relier tout cela. »

En 2007, vous entrez au Cabinet de Mme Lagarde comme Plume. Comment s’est produit la rencontre. Quel retour d’expérience en gardez-vous ?

« Pour commencer, je n’avais aucune envie de continuer à enseigner. J’avais détesté mon expérience d’étudiant-stagiaire lorsque je faisais ma thèse et que j’enseignais en parallèle. J’avais trouvé l’état des Facs françaises dans un niveau abyssale. Je n’avais pas du tout réalisé dans quel état c’était en termes de structures, de moyens, de tout… Cela ne donne pas du tout l’envie de rester. Tout le monde s’en va. C’était la vie qui me convenait d’être professeur. L’idée d’écrire, c’était ma vie rêvée. Lorsque j’ai vu ce que c’était d’être professeur en termes de carrière académique en France. On ne peut pas rêver de cela, c’est trop triste. J’ai sauté sur la première occasion pour faire autre chose.

« J’avais déjà publié un premier roman. J’avais rencontré des personnes qui connaissaient personnellement Christine Lagarde. Ils m’ont mis en relation. J’ai donné ma candidature. Il y avait un certain nombre de candidat. Christine Lagarde nous a départagé, ce qui est tout à fait son style, en nous faisant écrire deux discours dans la nuit. Une remise de décoration de la Légion d’honneur et un discours d’inauguration d’une foire à Châlons-en-Champagne. Elle occupait le poste de ministre de l’Agriculture. Elle n’était pas encore marquée politiquement parlant, à l’époque.

« Chemin faisant, j’ai beaucoup d’estime pour elle, en tant que personne, en tant que femme, en tant que patron. C’est quelqu’un qui a beaucoup de rigueur et d’intégrité. C’est rare dans le milieu politique. C’était un privilège de travailler avec elle. Je pense avec une certaine sympathie mutuelle qui continue à se cultiver, de manière distendue mais régulière.

« J’ai découvert tout ce monde de la politique et de l’économie, dont j’ignorai tout. Lorsque je suis arrivé à Bercy, il faut comprendre que je ne savais pas ce que c’était qu’une entreprise. Je ne connaissais rien. Je ne savais pas ce que c’était qu’une politique monétaire. Je n’avais aucune idée de cet univers. Ce qui n’est pas si mal pour une plume parce qu’une plume est censée retranscrire dans un langage que tout le monde comprend des choses qui peuvent être un peu technique. Cela tombait bien parce que je ne comprenais absolument rien à ce que l’on me disait.

« C’est une expérience d’écriture, d’abord. Parce qu’il faut écrire tous les jours, plusieurs discours. J’étais la seule plume. Là, pareil, ce n’est plus possible d’avoir la peur de la page blanche après cela. Ensuite, c’est un peu une expérience des milieux du pouvoir parce que lorsque l’on est plume l’on est à la fois la dernière roue du carrosse dans le Cabinet et en même temps l’on est proche du ministre parce que c’est nous qui lui donnons ses mots. Après cela dépend des Cabinets. En l’occurrence, j’étais assez proche. Souvent on l’accompagne. Souvent on est dans la voiture parce qu’il faut discuter d’un dernier dossier. Ce qui permets d’être assez proche tout de même de ce qui se passe. C’était en pleine crise financière.

« C’était tout de même très intéressant. J’ai découvert le Paris politique, économique, médiatique. Allez dans les grandes émissions, les grands ministères, le Gouvernement. Des choses que j’ignorais complétement. C’était un tourbillon très excitant lorsque l’on est si jeune. J’avais 24 ans. Tout d’un coup l’on voit tout cela. Ce qui permet par la suite de ne plus être impressionné. Le 3ème jour de travail, hop, on part à l’Assemblée Nationale. Je suis au rang des Commissaires du Gouvernement, derrière la ministre. On voit l’hémicycle remplit. C’est vous qui avez fait le discours. On a connu tout cela. Quelque part, cela permet de ne plus fantasmer non plus. C’était formateur sur le fonctionnement de l’État, voire de la technocratie. L’improvisation perpétuelle du pouvoir politique sur les grands sujets. »

Comment avez-vous vécu votre expérience à la BERD ?

« Toute l’histoire c’est que je cherchais un travail à Londres parce que mon épouse, que j’avais rencontré aux États-Unis, avait déménagé à Londres. On venait d’avoir un enfant. Le but du jeu était d’aller trouver un emploi à Londres. Le petit travail que je souhaitais, c’était d’être journaliste à The Economist. C’est vraiment mon rêve. C’est mon journal préféré.

« Je partage à 100% leur ligne éditoriale et doctrinale, qui vient du libéralisme mais qui est extrêmement sophistiquée, très rigoureuse. Elle est très nuancée sur pleins de sujets. Il y a toute une culture. J’ai tourné le dos et changé d’avis sur pleins de choses, mais sur The Economist, depuis 2004, je le lis tous les weekends.

« J’ai raté l’entretien à The Economist. Ils m’ont fait comprendre que je n’avais pas le temps de faire un stage de formation en anglais. Je parlais bien anglais mais pas au niveau des journalistes du journal. C’est un langage assez littéraire qui est assez souvent étudier dans les cours d’anglais. Je me suis retrouvé un peu par hasard à la BERD. Ce qui est un peu le seul emploi un peu « banal », dans mon parcours.

« C’est une grande Institution multilatérale. Il faut bien rappeler que c’est une Banque publique. C’est cela qu’il y a d’intéressant. C’est une Banque qui est fondée par les États, qui avait été imaginé par Jacques Attali pour encourager les pays de l’Est à embrasser l’économie de marché et la démocratie. On est en plein dans le paradigme Fukuyama des années 80’/’90 en disant que les Droits de l’Homme et les marchés vont aller ensemble, main dans la main et jusqu’à la fin des temps. Les institutions qui ont été fondées là-dessus continuent à exister même si tout a été changé depuis. C’est cela qui est intéressant aussi.

« Ce qui était intéressant avec la BERD c’est que cela m’a fait beaucoup voyager notamment dans les Pays du Maghreb parce que j’étais dans une équipe institutionnelle chargée de négocier l’extension du périmètre de la Banque au Nord de la Méditerranée suite au Printemps Arabe. C’était en pleine présidence française du G20. On était dans toutes les tractations sur l’Union Pour la Méditerranée, entre Nicolas Sarkozy, les Américains, les Allemands. Puis les pays d’opérations comme le Maroc ou l’Égypte. Ce qui était intéressant parce qu’en fait c’était un peu de la diplomatie. J’y ait croisé Christine Lagarde, qui était encore ministre de l’Économie. Elle faisait partie de nos interlocuteurs.

« J’ai découvert ce que c’était qu’une grande bureaucratie internationale. C’est dur de la quitter parce que c’est tellement confortable. On est bien payé. On ne paye pas d’impôts. On voyage en Première. On est avec des collègues intéressants qui viennent de tous les pays parce que le staff vient des pays d’opérations donc c’est très cosmopolite. Il y a des Azéries, des gens de Mongolie, des Russes, des gens des pays Arabes, des Américains. C’est des milieux très privilégiés et très feutrés. C’est un peu dur d’en partir. En même temps, à un moment donné j’allais avoir 30 ans. Je me suis dit : « qu’est-ce que je vais faire de ma vie ? Est-ce que je veux devenir président de la BERD ? » On se pose des questions, forcément.

« J’ai toujours continué à écrire. J’ai toujours continué à publier des livres dans ces année-là. Mais tout de même ! On est absorbé par une vie de professionnel qui doit aller au bureau de 9 à 18. Je me suis vraiment dit que si j’allais continuer dans ce domaine, cela allait devenir ma carrière, mon identité. C’était juste avant mes 30 ans que j’ai posé ma démission.

« Tout se passait bien mais je me suis dit que j’allais devenir une sorte d’entrepreneur mais un entrepreneur de mes idées. C’est cela qui me correspond. C’est là que j’ai fondé GenerationLibre et que ma vie de débat public en France a commencé. »

En 2012, vous êtes candidat aux élections législatives pour le Parti Libéral Démocrate pour la 3ème circonscription des Français de l’Étranger. Quel souvenir en gardez-vous ?

« Pendant ce temps-là, j’avais continué à développer dans mon coin mes idées libérales en lisant essentiellement de la philosophie. J’ai vu arriver cette élection. C’est la première fois qu’il y avait une élection des députés pour les Français de l’Étranger. Je me suis dit que sur le papier les Français de Londres sont libéraux dans les deux sens du terme. C’était l’époque où David Cameron était au pouvoir. C’était en plein dans cette philosophie-là. À la fois très libérale sur le plan de la société, débureaucratisé sur le plan de l’État, tout pour l’innovation et technologie de rupture sur le plan économique.

« C’était un message beaucoup moins raffiné de ce que je fais maintenant où j’ai mis beaucoup d’autres thèmes plus novateurs. C’était une vision libéraliste classique à la The Economist. Comme toujours. C’est pour cela que je fais cela toujours aujourd’hui et que je n’en suis pas sorti. Il n’y avait pas de force politique qui représentait cela en France. C’était bien dommage.

« Il y avait ce petit parti, le Parti Libéral Démocrate. J’ai obtenu l’investiture sans aucune difficulté. J’ai fait campagne tout seul, essentiellement. Comme maintenant. On s’est bien marré. Maintenant aussi, d’ailleurs. J’avais fait des discours sur la tombe de Marx. « Marx es-tu mort ?! » Les imitations de De Gaulle, avant l’heure. [Rires] On avait fait une bonne campagne. Notamment contre Axelle Lemaire, qui est devenue secrétaire d’État ensuite. J’avais quand même été le plus haut des petits candidats, 4,5%. Ce qui n’était pas si mal. J’avais eu pas mal de médias. Cela avait un peu réveiller les gens.

« J’avais fait aussi des discours au Speaker’s Corner, devant des Anglais qui ne comprenaient rien à ce qui se passait, avec un drapeau Français. Il faut retrouver la vidéo. C’est un grand moment.

« C’est un peu suite à cela que je me suis dit que cela avait un peu raté politiquement mais que ces idées ont un sens dans le pays. Elles sont inexploitées. Elles sont sous-représentées. Elles ne sont pas développées. Cela a aussi contribué sur le fond à mon envie de créer ce think-tank. »

En 2013, vous fondez le think tank GenerationLibre. Comment est né le projet ?

« C’est d’abord l’envie d’entreprendre sur le plan des idées. C’est l’entreprenariat parce qu’il faut monter ex nilo. C’est pire que l’entreprenariat parce que l’on ne peut pas gagner d’argent. Puis sur le fond, pourquoi ces idées libérales étaient mortes politiquement en France ? Parce qu’elles étaient mortes intellectuellement. Je me suis dit il faut commencer le combat à sa source. Ce que dit Hayek, pour poser les termes du débat.

« J’ai constaté. J’ai fait le tour des laboratoires d’idées français, avant de le lancer. J’ai noté que les think-tank dit libéraux étaient unijambistes. Ils étaient pour la rigueur économique et la concurrence et le marché mais aucune vision de la société, de là où vont les réformes sociétales, de la culture. Ce qui fait que le libéralisme n’est pas seulement une philosophie du marché et d’entreprises. Surtout pas. Il y a aussi une faille du marché pour ces idées-là.

« Généralement ceux qui fondent un think-tank, cela se passe dans le sens inverse. Ils ont de l’argent. Ils décident de défendre une cause et qui trouvent un DG. Ils font venir les premiers fonds avec leurs copains. Moi, c’était l’inverse. C’était moi le DG qui allait chercher de l’argent en disant que j’avais fondé mon labo d’idées. Cela fonctionne par donation uniquement. C’est extrêmement compliqué. Surtout lorsque l’on n’est absolument pas connu, comme c’était mon cas. C’était très compliqué de convaincre des gens que j’étais sérieux. Petit à petit les rapports ont grandi. J’ai eu plus de couverture. J’ai engagé une équipe. J’ai une collaboratrice qui m’a rejoint chez Simple, qui avait travaillé pendant 5 ans chez GenerationLibre. C’était la première personne que j’ai embauchée.

« C’est une vie qui m’a plu parce que d’une part elle me permettait de me laisser du temps pour écrire, pour mes recherches personnelles, pour mes voyages et tout ce que je fais autour. D’autre part, j’étais constamment dans les médias. J’aime bien cela. J’aime bien le débat public. J’aime bien la télévision. J’aime bien la rhétorique. J’aime bien convaincre. J’aime bien parler devant une salle. C’est une vie de débateur, presque de polémiste, avec une tribune hebdomadaire dans Les Échos. Ce qui permet de continuer à m’exprimer. Des cours, aussi, que j’ai donné à Sciences-Po sur le libéralisme. Ce qui m’a forcé à relire des classiques et à structurer. Tout cela va dans le même sens mais avec une palette d’activité qui fait que je suis obligé de me confronter à des choses nouvelles constamment. S’il y a une chose dont je suis fier c’est que j’ai toujours évolué. Je garde la même ligne mais il y a eu énormément d’injonctions, de nouveautés, voire de virages. »

En 2020, vous êtes partis sur les routes à cheval sur les pas de Montaigne. Comment est né ce projet ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

« Cela fait 5 ans qu’en partenariat avec Le Point je développe un travail de reporter où je mêle mes idées à la pratique. C’est-à-dire que l’idée est d’aller sur le terrain pour voir comment cela marche. Comment les gens se comportent. J’ai fait une vingtaine de voyages à travers le monde, sur tous les continents sauf l’Australie. Cela m’a changé d’air et forcé de changer quelques trucs. L’un de ces voyages était sur l’intelligence artificiel.

« J’en étais revenu moins technophile qu’au départ. J’étais bloqué par un certain nombre de chose avec une nouvelle idée, qu’ensuite le think-tank a développé, qu’est la propriété privée des donnes personnelles. Pour aller vite j’ai été choqué par le processus de manipulation qui sont permis par l’accumulation des données et la précision neuroscientifique de l’anticipation et de la manipulation des comportements. Le voyage était un peu un antidote à cela.

« C’était l’inverse. Maintenant que j’ai vu tous ces gens qui créent le monde de demain, allons revoir un peu le monde d’hier. Surtout développer un voyage qui soit lent, qui soit en profondeur, qui soit plein d’aléas, de contact avec la nature. J’avais un téléphone. J’avais une technologie que j’avais choisi et que je maitrisais. Je ne suis pas contre la technologie.

« C’était une épreuve physique qui a pris 2 ans en tout, parce qu’il y avait la préparation physique, le voyage et puis l’écriture. Ce qui m’a beaucoup changé. Ce qui m’a fait évoluer sur beaucoup de points, où je suis beaucoup moins fanatique de la logique du marché.

« Ceci a achevé ma mue vers un libéralisme de gauche, beaucoup plus social. Je suis beaucoup plus en réflexion sur l’écologie, sur la décroissance. Cela l’a confirmé sur un certain nombre de points, comme le Revenu Minimum Universel. Cela l’a développé sur d’autres.

« In fine, un voyage conduit vers l’autre, en tous cas dans ma logique. Mon voyage à cheval m’a aussi permis d’expérimenter les libertés dans un sens beaucoup plus existentiel, dans le fond. Stoïcien, aussi, la liberté. Elle n’est pas forcément de pouvoir tout faire à tous moments mais plutôt de ne pas dépendre des circonstances extérieures. De pouvoir être libre.

« Lorsque l’on est à cheval, on est constamment sous contrainte. C’est compliqué. Il faut trouver un abri. Il faut trouver un chemin. Il faut trouver un vétérinaire. Tout est toujours très contraint. En même temps, on se sent très libre parce que précisément on a intégré tout cela. On se laisse guider par ce qui vient, par le hasard et par l’évènement, sans trop chercher à interférer. Ce qui n’est pas évident à notre époque.

« Cela m’a aussi permis de développer une idée de ma liberté que j’ai appelé « mes vagabondages », parce que j’étais vagabond. Je passais un peu à travers les gouttes des normes administratives mais aussi algorithmiques qui gouvernent notre société. Nos comportements doivent constamment emprunter certains canaux parce que l’on est constamment pisté, tracé. On reçoit des notifications tous les jours qui nous disent où aller, comment faire… La moindre action est soumise à toute une sorte de formule aberrante. On n’est plus l’administrateur de soi-même. J’étais sur les chemins et je n’avais de compte à rendre à personne sinon qu’à moi-même et à mon cheval. Ce qui était beaucoup. C’était une vraie responsabilité mais la liberté va avec la responsabilité. Par conséquent cela m’a rendu encore plus sensible à ceux dont les gens parlaient beaucoup quand j’allais les voir. C’est-à-dire la question normative et la question normative, qui est maintenant mon combat avec Simple. »

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Vous venez de lancer le mouvement Simple. Comment est né le projet ? Quels messages souhaitez-vous faire passer à travers ce nouveau projet ?

« La tâche prioritaire pour notre société c’est de se débureaucratiser. C’est vraiment la chose numéro 1, avant tout le reste. C’est la clef de tout le reste. Parce que débureaucratiser c’est retrouver l’humain. C’est le bon sens. C’est retrouver le jugement individuel. C’est retrouver les métiers qui font sens. C’est retrouver de l’autonomie qui permet aux gens de de développer leurs jugements. C’est retrouver la décision de terrain avec les acteurs de confiance. Cela va très loin. On construit un modèle de société basé sur la confiance plutôt que sur la verticalité. À l’inverse, cette bureaucratisation concerne à la fois le secteur public comme le secteur privé. On les met dans le même sac comme l’a bien noté l’anthropologue David Graeber.

« C’est par ailleurs une aspiration sociétale à la vie simple, au contact avec la nature, au dépouillement, à l’arrêt de la surconsommation. Une tendance de pointe, d’avant-garde. Cette avant-garde a toujours mené les sociétés, je pense. Ceux que l’on dénonce comme les Bobos, seront probablement les standards dans 20 ou 30 ans. Cela a toujours été le cas. L’équivalant des avocats parisiens qui luttaient pour la liberté quand tout le monde ricanait au XVIIIème.

« Je pense que tout cela est à prendre au sérieux et que simplifier c’est très dur. C’est très difficile. C’est beaucoup plus facile d’annoncer telle nouvelle réforme, telle transformation, tel plan d’investissement. Que sais-je. Que d’ôter, d’enlever. Cela vaut aussi pour l’art, pour la philosophie. C’est en fait beaucoup plus exigeant d’arriver à l’essence, la chose. En art, c’est Michel Ange qui ôte quelque chose à la pierre pour trouver son David, plutôt que de construire son David. Dans les sphères administratives et publiques cela doit être la même logique.

« Si vous avez rencontré Valérie Petit, vous voyez que ce qui nous rapproche c’est le fond parce qu’elle porte aussi ce libéralisme qui vient de l’écologie, qui vise aussi à la vie simple, voire parfois la vie sauvage. C’est Valérie Petit d’ailleurs qui m’a fait lire 15 jours dans le desert ; qui est un petit livre de Tocqueville. Il raconte sa traversée de la Forêt Primaire dans le Michigan. Il y a chez les libéraux authentiques ce désir personnel existentiel de grand air avec une espèce de cabane dans les bois. C’est le thème de la simplicité et une manière de parler de tout cela.

« C’est aussi une manière plus tactiquement d’introduire les idées qui me sont chères, les idées libérales, par la porte assez facile de la simplification. Parce que la simplification tout le monde est d’accord. C’est consensuel. C’est au fond jamais traité sérieusement donc les gens ne sont pas reconnaissant de faire un travail qui est essentiel aujourd’hui parce que l’hôpital souffre de la bureaucratie. L’école souffre de la bureaucratie. La vie quotidienne est engluée dans des milliers de process qu’on ne comprend plus. Même chose pour l’entreprise qui est bourré de process qu’on ne comprend plus.

« Ce thème est populaire. Il est puissant politiquement parce qu’il me permet d’ouvrir tout le reste. L’universel, l’autonomie local etc… Ceci sans avoir besoin de mobiliser toute la doctrine libérale qui fait peur, qui est incomprise, qui prête à tellement de malentendu. »

Comment appréhendez-vous l’année présidentielle qui s’annonce ?

« Je constate le même constat qu’en 2012, que mes idées ultra-libéraliste ne sont pas présentes. Que tous les candidats de gauche, de droite et du centre sont des Jacobins. Ils sont distributeur d’un côté, souverainiste de l’autre. Techno-positiviste au milieu. Lorsqu’ils disent qu’ils veulent baisser les dépenses publiques, ils sont toujours dans cette même logique très contraignante et très interventionniste du rôle de l’État. On va faire ci, on va faire cela. Tel groupe de population. Cela ne me convient pas. C’est pour cela que j’essaye de monter une offre alternative qui dise tout l’inverse. Qui dise que : « Je ne vous donne pas les solutions mais je mets en place les structures pour que chacun puisse trouver ses solutions au niveau le plus local. » Là où des solutions existent. Que ce soit pour les petites municipalités, pour les entreprises, pour les individus.

« Je vais essayer de porter dans cette campagne un contre-discours par rapport à tout cela. Jusqu’où l’on pourra aller, on verra ! C’est bien pour cela que l’on a créé ce mouvement politique dont on a besoin et qui n’existait pas. Ce qui m’occupe beaucoup puisque c’est un parti. Maintenant, il y a des permanents. Il y a toute une structure institutionnelle autour. Il faut lever des fonds. C’est reparti ! C’est une initiative. »

M. Gaspard Koenig – ©droits réservés

Comment vivez-vous l’expérience littéraire de chroniqueur et d’écrivain ?

« Effectivement cela fait 5 ans, depuis l’expérience Lagarde et la BERD, que je mène une vie de grande passion littéraire et intellectuelle. Ce qui me convient très bien. J’en profite pour dire qu’au-delà des idées dont on a parlé, j’écris régulièrement des romans. J’ai commencé par cela, qui avait eu un peu de succès et d’estime lors de la rentrée littéraire de 2004. Il s’appelait Octave avait 20 ans. Je ne sais pas ce que je vais faire exactement dans les prochaines années mais pour moi, le roman, cela reste le Graal. C’est le top. C’est vraiment la réalisation suprême.

« Là, j’écris des essais. J’essaye toujours de travailler de manière littéraire, avec du style, de l’humour, des mises en situation, de la narration. Plus ça va, plus y’en a. Il est possible que le suivant soit encore un essai. Mon ambition est de retourner un jour au roman. Je trouve qu’on arrive à y faire passer des idées dedans. C’est vraiment ce qu’il y a de plus abouti. C’est vraiment la forme d’expression ultime des idées, de la vie, de tout. »

Vous vous imaginez où dans 10 ans ?

« Ma vie me va très bien. Je suis sédentarisé. Je me vois écrire et monter à cheval avec ma jument qui est assez jeune pour être toujours là dans 10 ans. Cette stabilité me va très bien maintenant. Bien sûr j’ai des initiatives politiques parce que je ne veux pas lâcher ce combat. Mon but, il est atteint, un peu. Plus je peux le vivre longtemps, mieux c’est ! »

Quel regard portez-vous sur la pandémie mondiale qui nous touche ?

« J’ai été très critique dans les mesures prises par les Gouvernements sur les facilités avec lesquelles nous avons renoncé à nos libertés.

« Dès le début de la pandémie j’écrivais que comme le disait Foucault à propos de la lèpre et des léproseries : « les mesures de contrôles mises en place à la faveur d’une épidémie lui survivent. » Ce qui est exactement ce que l’on vit aujourd’hui. On est tous vacciné aujourd’hui. Je l’ai dit il y a 2 ans. Il y aura toujours un nouveau variant, un nouveau test, qui justifiera d’avoir toujours plus de vaccins, plus de masques, plus de test. Je pense que l’on est exactement dans cette situation.

« On a perdu la capacité de faire des calculs de proportionnalités et de risques. La question n’est pas d’éliminer le virus. La question est de le ramener à un niveau de risque qui est acceptable pour une société. Sachant que toutes les activités que l’on mène sont risquées. Prendre la voiture, c’est risqué. Avoir une grippe, c’est risqué. Il y a plein de choses qui le sont mais que néanmoins on l’accepte socialement parce que cela fait partie des risques de la vie, des hôpitaux et de la Sécurité Social de traiter ces risques-là.

« À partir de quel moment on va dire que le risque il est à tel niveau, c’est bon, c’est acceptable ? Là, on est dans une logique où tant que le risque ne sera pas 0, on va continuer à être en État d’urgence. Le risque ne sera jamais 0. Heureusement, en fait. Cela n’existe pas un risque 0. Les gens doivent comprendre, y compris s’il on veut simplifier les choses, simplifier la loi. Il faut comprendre que simplifier c’est aussi redonner une part à l’incertitude et au risque. La précision de la norme et l’inflation normative sont liées à ce refus du risque.

« Cela me semble révélateur du refus du risque et de l’hystérie médiatique qui caractérisent nos sociétés. En un sens rien n’est un monde d’avant, un monde de demain. C’est plutôt « le monde d’hier en pire », comme le disait très bien Houellebecq. Si l’on ne va pas en sens inverse, que l’on ne redonne pas aux gens la possibilité de vivre et de prendre leurs responsabilités. On va tous finir en prison à ciel ouvert. Ce qui m’angoisse un peu. C’est la société chinoise/asiatique. 0 virus, 0 risque, 0 liberté. »

Quel est votre rapport avec les réseaux sociaux ?

« C’est très simple parce que mon voyage sur l’IAM [NDLR : Identity and Access Management – la Gestion des Identités et des Accès] m’a convaincu que l’on n’était pas libre sur les réseaux. On pouvait exprimer son avis mais que l’on était comme un hamster dans sa cage. En tournant, on produisait de la data. Nos Tweets, nos post sont complétement guidés par la logique des algorithmes. Cela m’a complétement effrayé.

« J’ai suivi les conseils de Jaron Lanier, qui est un informaticien américain travaillant chez Microsoft. Il est très alternatif. Si vous regardez sur Internet vous allez tout de suite comprendre, physiquement. Il a des dreadlocks jusqu’aux pieds. Il a écrit un petit pamphlet intitulé : Ten arguments for deleting your social media. Quand je l’ai vu, il me l’a réexpliqué en me disant que c’était vrai. J’ai quitté les réseaux sociaux sauf LinkedIn, qui n’en n’est pas vraiment un.

« J’ai quitté tout cela. J’en suis très content. Cela m’a redonné une vraie liberté ; y compris de penser. Je me suis remis à penser contre moi-même. Je pense que cela a accéléré ma mue parce que cela m’a permis de sortir de ma bulle. Vraiment. Moi aussi, j’étais dans ma bulle de filtre et que cela m’a permis de continuer à évoluer.

« Cela me permets aussi de ne pas subir l’autocensure. Parfois des personnes viennent me voir à la fin d’une émission en me disant : « mais comment tu as pu dire ça ?! Tu vas voir ce que tu vas prendre sur Twitter ! » Je leurs répond : « M’en fou parce que je n’ai pas Twitter. » Je dis ainsi ce que je veux. Psychologiquement, c’est hyper utile. J’écris mon article provocateur si j’en ai envie. Je reçois de temps en temps des mails de personnes qui ne sont pas d’accord. Mais les gens qui prennent le temps d’écrire un mail, globalement, ils écrivent quelque chose d’argumenté. Les gens ne m’agressent pas dans la rue parce que j’ai écrit tel article. Cela rend très libre de ce que l’on dit, de ce que l’on pense.

« J’ai aussi proposé récemment d’abolir les réseaux sociaux au moins de 16 ans parce que c’est aussi une forme d’addiction, de drogue. Je suis pour la libéralisation des drogues pour les adultes mais pas pour les enfants. Je pense qu’il faut autoriser le cannabis pour les adultes mais interdire les réseaux sociaux pour les enfants. Là, on fait tout à l’envers avec nos enfants. Il faut qu’ils soient préservés de l’addiction. Il faut qu’ils puissent développer leurs cerveaux de manière autonome et aussi riche que possible. Ce n’est pas en passant sur TikTok dès l’âge de 8 ans, que l’on va y arriver. Pouvoir s’ennuyer. Le fait d’avoir la capacité d’attention, qui est le pendant de l’ennuie en fait. Cette façon de les exciter en permanence, c’est révoltant. Le fait d’avoir des plages de temps où l’on s’ennuie un peu. On lit un livre.

« C’est pour cela que je soutiens aussi Caroline Janvier, qui est une députée LREM, dans une tribune qu’elle a écrite pour mettre en garde l’addiction aux écrans de la part des enfants. Il y a tout un dispositif de mesures publiques, dont je ne suis pas totalement d’accord dans le détail. Je pense qu’il y a un réel besoin de conscience politique. Il faut se rendre compte qu’il y a des politiques publiques classiques à déployer sur ce genre d’instrument. »

***

Merci à Mesdames Broquet-Courboillet et Granier pour leurs aides précieuses à la réalisation de ce portrait.

Merci à M. Koenig pour son écoute et sa participation à ce portrait.

 

Publié par RomainBGB

Franco-sicilien né en Helvetie. Co-auteur de l'ouvrage "Dans l'ombre des Présidents" paru en mars 2016 aux éditions Fayard.

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