S. E. M. David Martinon

Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul – itinéraire d’un Ambassadeur.

Chers Lecteurs,

Ceux qui me connaissent et/ou qui suivent périodiquement les entretiens-portraits diffusés sur #LaLettreR savent la place occupée par la diplomatie dans mon esprit. Après le portrait de Madame Avé, je poursuis la galerie de portraits avec une nouvelle personnalité du monde diplomatique. La politique, autrement.

Après un diplôme à l’IEP de Paris, notre interlocuteur fréquentera les bancs de La Sorbonne afin d’affiner ses études avec un DEA en Économie.

Suite à cela, les bancs de l’ENA s’ouvriront à lui au sein de la promotion Valmy. Ceci lui permettant d’étendre son avenir professionnel vers de nouveaux horizons en rejoignant notamment le ministère des Affaires Étrangères en devenant l’adjoint au porte-parole du ministère.

Conseiller ministériel. C’est dans ce cadre-là que notre nouvel interrogé fera ses armes au sein des ministères de l’Intérieur puis de l’Économie, auprès du ministre Nicolas Sarkozy. Le néo-président de la République l’emmènera ensuite avec lui à l’Élysée où il deviendra son Porte-Parole.

Carrière diplomatique. Le retour à ses premières armes se fera avec son arrivée à Los Angeles en tant que Consul Général. C’est sur cette lancée qu’il sera le représentant de la France en charge des négociations internationales sur la société de l’information et l’économie numérique. Le poste d’Ambassadeur pour le numérique suivra.

Ce qui l’emmène à son poste actuel d’Ambassadeur de France, depuis le mois de septembre 2018, auprès de la République islamique d’Afghanistan. Après le retour au pouvoir des Talibans en août 2021, notre interrogé se verra contraint de quitter le pays. Ce qui nous amène à sa rencontre avec la publication de son ouvrage Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul, parut en février 2022, aux Éditions de l’Observatoire.

Je vous laisse découvrir le portrait de Monsieur David Martinon, Ambassadeur de France auprès de la République islamique d’Afghanistan.

Son Excellence Monsieur David Martinon, Ambassadeur de France en Afghanistan – ©Hannah Assouline

La réalisation de ce portrait a été réalisé lors d’une rencontre dans un bureau parisien.

 

Bonne lecture !

@romainbgb – 27/06/22

 

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Biographie Express de M. David Martinon :

*1971 : naissance à Leyde (Pays-Bas).

*1989-1992 : diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris.

*1991-1995 : conseiller communication politique et marketing électoral chez APC.

*1992-1993 : DEA en Économie à l’Université de Paris 1 – Panthéon Sorbonne.

*fév. à juin 1995 : chargé de communication du ministre de la Défense, M. Léotard.

*1996-1998 : École Nationale d’Administration – Promotion Valmy.

*1998-2001 : adjoint au Porte-Parole du Ministère des Affaires étrangères.

*1999-2004 : professeur en Relations Internationales à l’IEP de Paris.

*2001-2002 : rédacteur à la Direction de la Coopération européenne.

*mai 2002 – jan.2007 : conseiller diplomatique du ministre de l’Intérieur, puis de l’Économie, M. Sarkozy.

*déc.2005 – mai 2006 : Directeur des Relations Internationales et des Affaires Européennes à l’UMP.

*jan. à mai 2007 : Directeur de Campagne du candidat de l’UMP, M. Sarkozy.

*mai 2007 – avril 2008 : Porte-Parole de la Présidence de la République.

*août 2008 – sept. 2012 : Consul Général de France à Los Angeles (États-Unis).

*sept.2012 – fév.2013 : Responsable des Droits de l’Homme au sein de la représentation permanente de la France auprès des Nations-Unies (New-York, États-Unis).

*avril 2013–oct.2015 : représentant de la France en charge des négociations internationales sur la société de l’information et l’économie numérique.

*oct.2015 – nov.2017 : ambassadeur pour la cyberdiplomatie et l’économie numérique.

*nov.2017 – nov.2018 : Ambassadeur pour le numérique.

*depuis nov.2018 : Ambassadeur de France auprès de la République islamique d’Afghanistan.

*fév.2022 : publication de l’ouvrage Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul ; aux Éditons de l’Observatoire.

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À quoi rêve le petit David quand il est enfant ?

« Je pense que, comme tous les petits garçons, j’avais des rêves plein la tête, très différents les uns des autres. Je m’imaginais tout.

« Un peu plus vieux, j’ai probablement eu mes premières idées de vie diplomatique, inspirés par un de mes oncles qui était attaché culturel. Il l’a été dans des pays en guerre et qui a connu plusieurs évacuations. Il était professeur à Beyrouth, au début de la Guerre Civile. Il a été au Viêt-Nam. Il était dans l’un des derniers hélicoptères à partir, après la Chute de Saïgon. Il a été en Ouganda du temps d’Amin Dada où il a connu une autre évacuation au moment de l’invasion du pays etc…

« Je trouvais cette vie assez fascinante, assez passionnante. C’est probablement-là que j’ai eu l’envie d’être diplomate. »

Que retenez-vous de vos années d’études à Sciences-Po et à la Sorbonne ?

« À Sciences-Po, j’ai le souvenir d’une école où l’on travaillait beaucoup. Je faisais beaucoup de politique à côté. C’est peut-être cela qui me frappait. Il me restait peu de temps disponible. Il fallait vraiment que je l’utilise à travailler pour être, à peu près, dans les clous.

« J’ai le souvenir aussi d’un bain intellectuel très stimulant. Les grandes personnalités, les grands experts, les grands éditorialistes venaient parler à Sciences-Po régulièrement. Les Professeurs étaient de grands professionnels, très jeunes aussi. Tout cela était tout à fait cohérant avec mon intérêt pour l’Histoire, les Relations Internationales et l’Économie. C’était assez passionnant. J’ai beaucoup aimé.

« Ensuite, à la Sorbonne, c’était les études d’Économie dites du « public choice », c’est-à-dire des choix collectifs. C’était l’application de la grille, de la grammaire économique aux phénomènes de sociétés. C’était assez passionnant. J’en ai gardé une certaine maitrise de cette grammaire économique qui permet d’approcher à peu près tous les problèmes. »

Vous êtes issu de la Promo Valmy de l’ENA. Qu’en gardez-vous comme souvenir ?

« J’en garde des bons souvenirs. Ma promotion était plutôt très sympathique, avec beaucoup de bienveillance et un bon esprit de groupe. J’y ai forgé des amitiés qui me restent avec des personnalités qui sont devenus d’excellents diplomates, des hommes d’affaires. Bruno Le Maire était dans ma Promo. On c’était bien amusé. On avait fait des choses intéressantes aussi. »

Que retenez-vous de votre expérience en cabinet ministériel, puis à l’Élysée, auprès de M. Sarkozy ?

« J’en retiens un sens de l’exigence. On n’avait pas le choix. Il fallait que l’on soit très bon. Il fallait que l’on gagne les arbitrages interministériels, quand on était dans les ministères. Il fallait que l’on affine notre patine politique. On ne pouvait pas se contenter d’être des technocrates puisqu’à l’époque Nicolas Sarkozy était dans sa marche d’approche vers la présidentielle. Il avait une ambition technique au sens où il voulait être un très bon ministre, qui règle les problèmes. Mais il avait aussi, déjà, une ambition politique. Nous devions l’intégrer dans notre travail.  Cela a été une formidable école de formation. Je dois dire que tout ce que j’ai appris en politique, m’a beaucoup servi par la suite, y compris à Kaboul.

« Le fait d’avoir une expérience politique est indispensable, je pense, pour comprendre les rapports de forces dans un pays entre les différentes forces politiques etc… Je le raconte à un moment dans mon livre. Les dynamiques politiques permettent d’expliquer beaucoup de choses. On ne peut pas se contenter d’observer de loin. Il faut essayer de comprendre le jeu des acteurs. Il faut essayer de se mettre à leurs places. S’il on est un acteur dont le projet, dont la cause connait une faveur particulière à un moment. Il est évident que, s’il on est lucide, cet acteur va essayer de pousser son avantage le plus possible. Par exemple. De même, ce qui peut expliquer la rigidité des uns ou des autres, c’est précisément leurs faiblesses relatives. Plus on est faible, plus on doit être rigide, d’une certaine manière.

« À l’Élysée d’autant plus parce que j’étais le porte-parole du président de la République. Je n’avais pas le droit à l’erreur. Catherine Colonna lui avait donné beaucoup de visibilité, déjà, mais elle était plus sur la diplomatie et les politiques étrangères. Le Président Sarkozy m’avait demandé d’être un porte-parole total, c’est-à-dire de parler de politique étrangère comme tous mes prédécesseurs, Hubert Védrine, Catherine Colonna, Jérôme Bonnafont etc… Mais aussi de parler de politique intérieure.

« Le fait est que j’avais sa confiance. J’étais dans son intimité. Je pouvais parler assez facilement. Je pouvais répondre à des questions auxquelles il n’avait pas à répondre lui-même. Je savais comment il réagissait, résonnait. Je savais comment il analysait tel ou tel fait.

« Par ailleurs c’est un métier qui exige la connaissance du vocabulaire de la diplomatie publique. Le fait est que comme j’avais été adjoint au porte-parole du Quai d’Orsay dans mes jeunes années, je possédais ce vocabulaire.

« Pour ce qui était du porte-parolat plus politique, comme j’avais été le Chef de Cabinet du candidat lors de la campagne présidentielle, de fait le directeur de campagne en 2nd. J’avais cette connaissance, cette expérience qui me permettait de parler de politique intérieure. »

Quelle expérience retenez-vous de votre poste de Consul Général à Los Angeles ?

« J’y suis allé considérant que si le Consul Général de France à Los Angeles n’était pas bon et ne s’intéressait pas aux industries créatives, il fallait en changer. Quand je suis arrivé, je me suis investi totalement, pour plus de 80% de mon temps, aux industries de l’Entertainment (cinéma, jeux vidéo, musique). C’était passionnant.

« J’ai rencontré tous les acteurs d’Hollywood, qui sont tous des gens de très grands talents. À commencer par les scénaristes, les producteurs, les réalisateurs, les acteurs … Ce sont des gens très positif. J’ai énormément appris à leurs contacts. J’ai même, à un moment, été tenté de rejoindre cette industrie. Ce que je n’ai pas fait pour le moment. C’était un travail passionnant et plaisant.

« Par ailleurs, dans cette fonction-là, j’avais déjà une attitude que j’ai répété à Kaboul, notamment en termes de planification et de préparation pour la sécurité. Parce que, à Los Angeles, l’air de rien, en fait tout le monde attend le Big One ; le grand tremblement de terre. Il y a eu un grand tremblement de terre dans les années ’90. L’expérience montre que personne n’est préparé. Il n’y a plus de communication. Si on ne s’est pas préparé, si l’on n’a pas anticipé, l’effet de sidération peut être très important. On ne trouve pas forcément les moyens de réagir comme il le faut, à cette crise.

« C’est pour cela qu’à l’époque, plusieurs fois par an, je faisais des exercices avec toute les équipes du Consulat. Je leur montrais où était les rations de survie, où était les téléphones satellitaires. Comment on s’en servait. Ce qu’il fallait que l’on fasse. Où est-ce que l’on allait dresser la cellule de crise. J’étais déjà dans cette logique-là, qui m’a bien servi après à Kaboul. »

Vous avez été ambassadeur pour la cyberdiplomatie et le numérique. Un sacré défi !

« Lorsque j’ai été nommé, personne ne voulait le poste. Lorsque je l’ai quitté, personne ne voulait le poste, non plus. Ce sont en fait des sujets qui sont très techniques. Cela donnait l’impression que les diplomates n’étaient pas très enclins à s’y intéresser. Pour ma part, j’ai trouvé que cela était passionnant. Ce n’était pas les sujets de l’avenir, c’était les sujets du jour. Ce sont toujours les sujets du jour.

« J’ai commencé comme Représentant Spécial pour les négociations concernant le développement du numérique. En cette qualité, j’étais le négociateur français pour tous les sujets de gouvernance internationale de l’Internet. Puis, on m’a ajouté d’autres sujets.

« Les sujets cyber. On rentre là dans une logique qui est plutôt celle d’affaire stratégique. C’est un domaine qui, par certains côtés, utilise la même grammaire, les mêmes concepts, que les négociations sur le nucléaire, sur le désarmement.

« Il s’agit bien d’essayer de réguler le cyberespace, qui est un espace de conflictualité, et d’essayer d’en faire un espace plus apaisé. Cela ne marche pas mais c’est en tout cas l’objectif. Puis l’on m’a rajouté encore d’autres sujets sur le numérique. Puisqu’en réalité dans le numérique, il y a des sujets nouveaux toutes les semaines.

« Il semblerait que j’étais le seul à qui l’on faisait confiance pour s’occuper de cela. À la fin, je me suis beaucoup occupé de négociation avec les grandes plateformes numériques, comme les GAFAM, sur le sujet de la lutte contre l’utilisation d’Internet à des fins terroristes. Pendant toutes ces années, j’ai traité de sujets extrêmement divers, avec des sujets nouveaux toutes les semaines. Notamment des méthodes de négociations qui n’étaient pas les mêmes que dans la diplomatie classique puisque j’étais amené à négocier avec des entreprises privées. »

Vous êtes depuis septembre 2018, Ambassadeur de France en Afghanistan. Comment avez-vous vécu cette nomination ?

« J’étais candidat. Je me suis battu pour pouvoir partir à Kaboul. On n’était pas nombreux. Ce n’est rien de le dire. 2 ou 3 à vouloir le poste. J’étais très heureux de partir en Afghanistan. Je me suis toujours intéressé au pays. J’y avait fait 3 missions dans le passé, dont une dès 2002, avec Bruno Le Maire d’ailleurs, qui était conseiller de Dominique de Villepin lorsque j’étais conseiller de Nicolas Sarkozy.

« C’est ce que je raconte dans mon livre. J’ai un intérêt pour l’Afghanistan qui remonte à mon adolescence, comme beaucoup de diplomates français, comme beaucoup de diplomates britanniques. Les diplomates français sont ceux qui ont lu Joseph Kessel. Les britanniques sont ceux qui ont lu Kipling.

« J’y suis parti en connaissance de cause. Je savais que cela allait être une vie monacale. J’allais vivre sans ma femme et mes enfants, que je verrais tous les 2 mois. Je savais que ce serait une vie dangereuse. Je vivrai sous haute protection, avec très peu de facilité de mouvement. Mais aussi que cela était un moment très particulier pour l’Afghanistan. Les choses n’allaient pas bien. Tout ceci avec le sentiment, ce qui est souvent le cas dans ces circonstances-là, que la mission prend d’autant plus de relief.

« C’était une décision familiale prise avec ma femme. On était d’accord là-dessus. Elle était en Cabinet ministériel à l’époque. C’était entendu entre nous que ce serait cette vie-là. Normalement, l’on part pour 2 ans. Je suis parti pour 33 mois… »

Couverture de l’ouvrage « Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul » – S.E.M. David Martinon – Editions de l’Observatoire – février 2022 ©D.R.

 

En août 2021, les Talibans reprennent le pouvoir à Kaboul. En février 2022, vous publiez Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul. Un exutoire pour ne pas oublier ?

« J’imagine que cela peut être souvent intimidant pour quelqu’un qui écrit son premier livre, qui n’est pas écrivain lui-même. C’était intimidant pour moi de commencer. En réalité, je l’ai écrit très vite. Je l’ai écrit en 3-4 mois. C’était nécessaire.

« C’était nécessaire, d’abord, parce que je voulais absolument faire la transparence sur tout ce qui c’était passé avant, pendant… Parce que quand on y était, que l’on avait les pieds dans la poussière de l’Aéroport. Même si ce n’était pas une nécessité, on était en train de travailler et l’on dormait entre 2 et 3 heures par nuit, sérieusement.

« Les polémiques parisiennes sont tout de même arrivées jusqu’à nous. Même si j’étais blindé et confiant dans ce que je faisais, j’ai vu l’effet que ces polémiques avaient sur mon équipe. Cela les blessait, divertissait leurs volontés et assombrissait leurs humeurs. Je ne voulais pas qu’il y ait cela. Je voulais pouvoir répondre à ces polémiques, en temps voulu. Je voulais que les choses soient dites et surtout expliquer notre travail que l’on avait fait, longtemps avant, et jusqu’aux dernières minutes.

« Ensuite, je voulais le faire pour rendre hommage à mes équipiers, à cette équipe, assez baroque en réalité. Je ne suis pas sûr qu’il y ait eu des précédents d’une équipe qui ait fonctionné comme cela, en vase clos, avec des diplomates, des policiers, notamment les policiers d’élites du RAID, mais aussi des CRS. Il y avait même un agent de la Police aux Frontières. Ce qui ne manque pas de sel. Sachant que l’on lui a fait faire le contraire du travail qu’il fait naturellement. Les soldats du Commando de Parachutes de l’Air N°10, du Commandement des Opérations Spéciales, et puis les Agents de la DGSE.

« Il fallait que je le fasse. Il fallait que je le fasse vite parce qu’en réalité on oublie les choses. Je savais que j’allais oublier. Bien sûr que j’ai commencé à oublier tout cela. Mais je voulais que tout soit notarié, pour ne pas perdre cette Histoire. »

2018. On découvre votre arrivée en Afghanistan. Avec le recul, qu’en retenez-vous ?

« Je m’attendais à cela, pour ce qui était de la vie là-bas. J’avais fait déjà des missions à Kaboul. Je savais le degré que cela exigeait. J’avais fait des missions à Alger au mauvais moment. J’avais fait des missions au Kurdistan Irakien au mauvais moment. À l’époque j’étais déjà protégé par le RAID. Je savais ce que cela allait être. Je savais même avant de partir que je devrais m’y plonger totalement, sans réserve.

« Je savais que cela devait être ma priorité d’assurer la sécurité de tout le monde. Pour cela, il fallait que j’impose une rigueur, un entrainement, une discipline sur ces sujets-là. »

Avril 2021. Le début de la fin ?

« Le début de la fin c’est le début du début malheureusement.

« En ce qui me concerne, le moment où les jeux sont faits, Alea Jacta Est, c’est au moment de la signature de l’Accord de Doha entre les Talibans et l’Ambassadeur Khalilzad, le représentant du Gouvernement Américain. On est le 29 février 2020. À ce moment-là, il y a un accord international avec une date limite de départ, une deadline. Dès ce moment-là, j’ai la confirmation de ce que nous avion déjà anticipé. Cet accord était en préparation depuis longtemps. Le fait est que les services de renseignements Français sont efficaces. Je savais ce qu’il y avait dans l’Accord.

« Le 29 février 2020, il est officialisé. À ce moment-là, je peux dire très tranquillement à mes partenaires de la communauté diplomatique et à mes partenaires Afghans qu’il faut qu’ils se préparent. Il va y avoir une fin. Que cette fin sera autour du 1er mai 2021. Cela a été très difficile de leurs faire entendre cela. D’ailleurs, je n’ai pas réussi à leurs faire comprendre cela.

« Néanmoins, cela ne m’a pas empêché de préparer la suite. Dès juin 2020, j’ai dit à mes Autorités à Paris que pour moi le scénario le plus probable c’était celui d’une victoire rapide et complète des Talibans après le départ du dernier soldat étranger. Dans ces conditions-là, il faudrait fermer l’Ambassade. Dans ces conditions-là, je ne voulais laisser personne derrière. Ce qui nous a laissé 15 mois pour préparer la fin.

« Après, en effet, avril 2021, c’est le moment où le Président Biden confirme, ce que moi je savais depuis longtemps puisque c’était sa position constante depuis 2004, qu’il appliquera l’Accord de Doha et qu’il retirera ses troupes. Cela ne pouvait pas être au 1er mai. Il y a une 1ère dérogation à l’Accord de Doha. Il annonce septembre. À partir de ce moment-là, évidemment, les choses s’accélèrent. »

15 août 2021 – 30 août 2021. La prise du pouvoir par les Talibans. L’écriture de votre journal de bord vous a-t-il sauvé ?

« Effectivement, je l’ai écrit après. Je n’avais pas le temps pendant. Je n’ai pas pris de notes. Même si j’avais eu le temps, je ne pense pas que j’aurais eu cette discipline-là.

« J’ai eu besoin de l’écrire après, non pas pour me faire du bien. Objectivement, je n’ai pas eu de syndrome post-traumatique. Je ne suis pas entré dans un état second. J’étais épuisé. Le mental a tenu. Certains de mes équipiers, même des Policiers, ont eu un gros passage à vide.

« Je l’ai écrit parce que je voulais notarié toute cette aventure avant d’oublier. »

30 août 2021, le général Donahue est le dernier à quitter Kaboul. Le début du début ?

« C’est le début des Talibans, saison 2. La date officiellement autorisée par les Talibans envers la Communauté Internationale c’était le 31 août 2021. Ce qui a été anticipé de 24 heures, comme il se doit, par les Américains. Il ne faut pas attendre le dernier moment parce que c’est le meilleur moyen de se mettre en position de vulnérabilité. 24 heures avant ils étaient près.

« Si vous le voulez durant ces 15 derniers jours il y a eu une transition. Les Forces Internationales étaient d’abord dirigées par l’amiral Vasely, qui venait du Renseignement de la Navy, des SEAL, qui était le patron de l’US Force A, les Forces Américaines en Afghanistan. Il venait de succéder au général Miller qui venait lui de l’Armée de Terre. Il y a eu une transition parce que si vous voulez pour que cela se passe correctement il fallait que la dernière étape de la présence étrangère à Kaboul soit entièrement militaire.

« Il fallait que toutes les missions diplomatiques, les civiles, partent avant de façon à ce que la 82° Air Board, légendaire Division que les Normands et les Français connaissent bien puisqu’elle a sauté dans tout le Calvados dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, fasse la manœuvre de retrait en sécurité. C’était extrêmement difficile à réaliser, surtout lorsque l’on voit la configuration de la Base de l’Aéroport et de tenir les portes face à 15’000 personnes, face aux Talibans. Il fallait pouvoir garder les points tout en reculant en même temps de façon à pouvoir embarquer. C’est une manœuvre très difficile à faire. Il fallait un corps expéditionnaire. Pour cela qu’il fallait que les missions civiles et les forces militaires étrangères soient partis avant. Le général Donahue c’est le Commandement en Chef de la 82° Air Board. »

Je ne peux penser au conflit ukrainien. Peut-on dire que ce conflit nous ramène dans l’Afghanistan des années ’80, du temps de l’URSS ?

« Il y a un point commun, c’est que ce sont 2 guerres nationales, pour les Afghans comme pour les Ukrainiens. C’est leur pays qu’ils tentent de libérer d’un envahisseur, d’un occupant. Ce fait est incontestable. On le voit très bien. C’est pour cela que l’Armée Russe va avoir des jours très difficiles devant elle parce que l’on a bien vu en Afghanistan que la supériorité matérielle ne fait pas tout. En l’occurrence si les résistants, l’Armée de libération nationale, est équipé d’un minimum d’équipement du type missile solaire, sol-sol, portable etc… Même une Guérilla peut faire énormément de dommages. On l’a vu dans l’attrition subit par les Russes en termes de Chars, d’Hélicoptères. Cela va très vite.

« On l’avait vu lors de la 1ère résistance Afghane contre les Soviétiques lorsqu’en fin 1986 la CIA commence à livrer les Stingers, cela va très vite ! Pourtant ils étaient sur le point de céder les résistants Afghans. L’Armée Rouge tenait tout de même assez bien le pays.

« Mais à partir du moment où ils ont eu des Stingers, vous aviez 1 avion ou 1 hélicoptère Russe qui tombait chaque jour ! Chaque jour ! Donc l’attrition était extrêmement importante.

« L’autre sujet, c’est le lien chronologique de corrélation entre les 2 Conflits. Oui, j’en vois bien un, à l’évidence. C’est la perception du côté du Kremlin de l’attitude américaine. De fait, avec la signature de l’Accord Américano-Taleb et les évènements d’août 2021, il est évident que nos partenaires américains ont affiché le fait que la défense, la sécurité de leurs Alliés n’étaient plus leurs priorités numéro 1. C’était toujours une priorité, il ne faut pas non plus caricaturer. Mais ce n’était plus la 1ère des priorités. La 1ère des priorités c’était de retirer les Boys en sécurité et de se recentrer sur des priorités domestiques, de s’éparpiller etc…

« À partir de ce moment-là, très probablement, il y a eu la perception au Kremlin, d’un changement de posture américaine et peut-être le soupçon que les Américains ne feraient rien pour aider l’Ukraine si la Russie s’en prenait aux Ukrainiens. Ce qui était une erreur. »

Comment vivez-vous votre rôle d’Ambassadeur de France en Afghanistan, depuis ce mois d’août 2021, depuis la France ?

« C’est sûr que l’on est moins exposé. J’ai la chance de vivre à nouveau avec ma femme et mes enfants. Tout cela est plutôt confortable.

« Il y a toujours du travail parce qu’il a fallu immédiatement réévaluer la situation. Tout le travail de réévaluation politique était donc indispensable. Le travail diplomatique avec nos partenaires en leurs rappelant qu’elles avaient été le sens des conditions posées par le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, fin août 2021. Ces conditions qui ont été reprises par le Conseil de l’Union Européenne. Elles sont des préalables à tout réengagement de la Communauté Internationale en Afghanistan.

« La France a tenu très ferme sur ces conditions. Là où tant de nos partenaires ont été très enclins à presque faire comme si de rien n’était. Voir considérer que les Talibans avaient changé et qu’il fallait leurs donner leurs chances en retournant à Kaboul pour reprendre le travail de développement comme si de rien n’était. Cela, pour nous, c’était difficile. Nous avons beaucoup été critiqué pour cela au sein de la Communauté Internationale. On nous appelait les Talibans de la Communauté Internationale parce que l’on était jugé trop rigide sur la lecture de ces conditions.

« Le fait est que les évènements nous ont donné raison parce que les Talibans n’ont pas changé. Pour ma part, je n’y ai jamais cru. Je n’ai jamais cru au concept de Taliban modéré.

« Il y a eu l’organisation de l’aide humanitaire. Comment travailler ? Quoi faire ? Quoi viser ? Quelles devaient être nos priorités ? Avec quelles ONG travailler ? etc… Puis, il y avait des sujets juridiques. Et enfin, les évacuations, puisque nous avons continué à en faire. »

Quels rapports avec les réseaux sociaux, un ancien Ambassadeur du numérique, a-t-il ?

« Je m’en suis servi. Je n’avais pas de passion pour les réseaux sociaux. Je n’étais pas particulièrement présent en ligne lorsque j’étais Ambassadeur à Kaboul parce que je considérais que mon métier c’était certes d’influencer mais je n’étais pas non plus un influenceur. Ne faire que cela, je considérais que cela se voyait. Je m’en suis servi comme un outil de gestion de crise pendant les 15 jours.

« Je m’en suis servi au début parce que lorsque nous avons été évacués de la Zone Verte, on a décollé en hélicoptère, exactement à 18H46 le 15 août. Les Talibans sont rentrés, vers là où l’on était, vers 18H48. Vous voyez. À ce moment-là, personne ne savait où j’étais. Il fallait absolument que j’informe les Autorités militaires américaines, les Autorités de l’OTAN, le reste de mon équipe, mes Autorités à Paris et accessoirement ma femme ! Il fallait que je leurs dise où j’étais, que je leurs montre même où j’étais.

« Le fait est que vous vous filmez en train de monter dans un hélicoptère. Dès que j’ai pu retrouver de la connexion, j’ai tweeté cette image. Ce qui m’a permis d’informer tout le monde en même temps avec en plus, avec la vidéo, une preuve. Il ne faut tout de même pas exagérer mais presque, j’ai envie de dire, une preuve de vie. On voyait que cela n’était pas un mensonge.

« Je m’en suis resservi à nouveau plus tard, à un moment où l’on avait réussi à faire évacuer les 300 personnes qui étaient restées à l’Ambassade de France. Mais il y avait encore du monde à sortir, que l’on n’avait pas sorti de l’Ambassade, qui ne pouvait pas bouger tellement la foule devant l’Ambassade de France était compacte.

« S’il on voulait encore pouvoir faire sortir les gens qui étaient encore dedans, que volontairement l’on n’avait pas inclus dans notre opération d’exfiltration parce que l’on n’avait pas de garantie sur qui ils étaient. On avait des doutes. On avait des suspicions. On pensait qu’il y avait des Talibans dedans qui faisaient des croquis etc… On n’aurait pas pu les inclure. On voulait récupérer ceux que l’on voulait mettre en sécurité. Pour les faire sortir, il fallait en fait faire circuler la foule qui étaient en fait amassée devant l’Ambassade.

« J’ai fait un tweet pour dire que l’équipe de l’Ambassade de France avait quitté les lieux, qu’aucun visa ne pourra être délivré à cet endroit-là. Il fallait donc en partir pour des raisons de sécurité.

« Ce sont les Talibans, eux-mêmes, qui sont allé voir les gens dans la foule en leurs montrant mon tweet. C’est à ce moment-là qu’ils ont compris qu’il fallait partir. Nous avons donc pu faire sortir de l’Ambassade ceux qui y étaient encore.

« Puis, bien sûr, au moment de l’Attentat de Daesh, qui a tout de même fait 196 morts. J’ai tweeté aussi pour dire à tous nos amis Afghans qui étaient dans la zone, parce qu’ils attendaient d’être évacués. Même si on leurs avait dit de ne pas être là ce jour-là. On leur demandait de partir parce que l’on avait des informations sur le fait que la menace d’attentat était imminente et caractérisée. J’ai fait un tweet pour dire : « Partez ! Une 2ème explosion est possible. »

« J’ai utilisé très peu parce qu’en fait, s’il on regarde, j’ai dû faire un tweet tous les 2 jours. Vous voyez, ce n’était pas beaucoup. En plus, je n’avais pas le temps. Je n’étais pas là pour cela. J’avais beaucoup de travail. On dormait très peu. Je l’ai fait aussi parce que je voulais, comme encore une fois on avait le sentiment qu’il y avait des polémiques qui montaient à Paris, pour montrer ce que c’était ce travail et les conditions dans lesquels on le menait. Montrer que c’était très compliqué. Il ne fallait pas raconter n’importe quoi parce que c’était vraiment extrêmement blessant pour l’équipe. Cela les mettait en colère. J’avais des gens qui y laissaient toutes leurs énergies. »

J’ai découvert aussi le photographe, en vous, sur Instagram.

« J’ai pris beaucoup de photos dans des conditions très particulière parce que je les prenais de ma voiture. Je ne pouvais pas en sortir, donc souvent en mouvement. Je les prenais de derrière une vitre blindée. Je ne pouvais pas faire autrement. Je n’avais pas l’autorisation de sortir de la voiture.

« Je suis content des photos que j’ai prises. Ce sont des visages. Ce sont des situations. Il y en a que j’aime vraiment beaucoup. On voit un homme tenir par la main ses 2 fils. C’est une photo très émouvante. Il y a des photos qui m’ont beaucoup ému. J’étais content de les avoir prises. »

***

Merci à S.E.M. David Martinon pour sa bienveillance et sa participation.

Publié par RomainBGB

Franco-sicilien né en Helvetie. Co-auteur de l'ouvrage "Dans l'ombre des Présidents" paru en mars 2016 aux éditions Fayard.

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